Le Maghreb deviendra-t-il un bouclier contre la migration irrégulière de l'Afrique vers l'Europe ? La politique de gestion telle que conçue par le Bureau international du travail (BIT) et financée par l'Union européenne (UE), traduite par le projet pilote qui sera mis en œuvre dans l'ensemble maghrébin d'ici à la fin de l'année, donne du crédit à une telle thèse. Etant convaincu que le mal vient du Sud, l'UE prend le taureau par les cornes et s'apprête à livrer une bataille sur tous les fronts. L'idée d'assister les pays maghrébins dans leur lutte contre l'immigration clandestine semble obéir à une arrière-pensée qui n'est autre que de vouloir fixer les populations migrantes sur la rive sud de la Méditerranée. Aux yeux de certains experts en la matière ayant participé au premier séminaire tripartite sous-régional sur la migration de la main d'œuvre au Maghreb, ouvert hier à Alger et qui prendra fin demain, l'Europe met la pression sur les Etats maghrébins afin de se prémunir contre le danger que représentent ces flux migratoires qui l'envahissent. Le séminaire d'Alger devra aboutir à des conclusions permettant d'asseoir une stratégie de coopération maghrébine à même de prendre connaissance de ce phénomène. Organisé par le BIT, ce séminaire regroupant 80 participants d'Algérie, du Maroc, de Mauritanie, de Tunisie et de Libye, se veut une ébauche pour la mise en œuvre du projet pilote qui consiste à « promouvoir les capacités pour une meilleure gouvernance de la migration du travail », au Maghreb d'abord. Les participants, partagés entre les représentants des ministères concernés, des organisations syndicales, celles patronales et des chercheurs, sont appelés à établir un état des lieux sur la migration de la main-d'œuvre à l'échelle du Maghreb. En l'absence de données quantifiées fiables, il serait illusoire d'attendre des résultats concrets. Mais à part les quelques bribes détenues par-ci, par-là, tout reste à faire. C'est dire que la mission est loin d'être une sinécure pour les deux rives de la Méditerranée. Selon le ministre algérien du Travail, Tayeb Louh, il y a 16,3 millions d'Africains qui vivent en dehors de leur pays. Cela représente 20% du nombre mondial. Selon les estimations du BIT, 10% d'Africains vivront d'ici à 2025 en dehors de leur pays. Ce taux pourrait augmenter. Tayeb Louh souligne dans son intervention lors de l'ouverture du séminaire que la question de la migration doit trouver une prise en charge dans le cadre du NEPAD, car liée au développement du continent noir. Si l'effort sécuritaire semble être primordial dans la lutte contre ce phénomène, il reste qu'il demeure, à lui seul, insuffisant. M. Louh soulève les facteurs de stabilité et de croissance comme moyens permettant de fixer les populations africaines dans leur pays d'origine. Patrick A. Taran, spécialiste principal de la migration au BIT, parle d'une diminution de la force de travail nationale en Europe. Selon lui, « la main-d'œuvre étrangère représentera 25% de la population active dans le vieux continent ». « Les travailleurs immigrants transféreront l'équivalent de 100 milliards de dollars vers leur pays d'origine », a-t-il indiqué. Ce serait la main-d'œuvre immigrante qui contribuera au maintien du niveau de vie actuel en Europe à l'horizon 2050. M. Taran, fervent défenseur d'une immigration choisie, organisée et non imposée, estime que les besoins de l'économie européenne en main-d'œuvre étrangère obéissent au facteur de la décroissance démographique continue auquel sont confrontés les pays de l'UE. Pour ses besoins en main-d'œuvre, l'Europe est contrainte de gérer convenablement la question de la migration de telle sorte à ne pas devenir un refuge des délaissés et des démunis du monde sous-développé. Des obstacles à une gestion efficace de la migration de la main-d'œuvre persistent à l'intérieur du Maghreb. L'UE, à travers le BIT, est appelée à s'impliquer fortement dans l'installation de mécanismes favorisant le dialogue social institutionnel entre les Etats maghrébins. La plupart des intervenants au séminaire d'Alger convergent sur la nécessité de la création de comités tripartites spécialisés à même de traiter une problématique si complexe. Le BIT compte aussi assister les pays maghrébins à mettre en conformité leurs législations avec les lois internationales relatives au travail. M. Taran trouve qu'aujourd'hui, même en Europe beaucoup de travailleurs immigrants sont maltraités. Pour lui, si l'on veut réellement bénéficier de la force travailleuse importée, il faut d'abord lui garantir ses droits au même titre que les travailleurs nationaux. M. Taran évoque au passage le racisme, la ségrégation raciale et la surexploitation des immigrants en Europe. Selon lui, cette situation est favorisée par la croissance de l'immigration clandestine et la lenteur prise dans le processus de régularisation de celle-ci.