La cité présente une situation fort déplorable. Celle-ci est indubitablement engendrée par une urbanisation à outrance. A cet effet, la promiscuité, l'insalubrité et le manque flagrant d'espaces verts en sont des conséquences directes. Néanmoins, les nuisances les plus accablantes semblent provenir pour une large part de l'activité du commerce de gros qui s'y exerce. L'ancienne cité semble la plus touchée. Celle-ci, doit-on le rappeler, a été réalisée à partir de 1959 dans le cadre du Plan de Constantine. Sa conception évoque le contrôle du pouvoir colonial exercé sans relâche sur les populations. « De l'extérieur, on peut surveiller tous les mouvements qui se font à l'intérieur de la cité », a expliqué un urbaniste. En somme, à la veille de l'Indépendance, la cité a abrité des centaines de familles en leur offrant des conditions relativement acceptables. Malgré le manque de ressources, les habitants supportaient tant bien que mal les difficultés de la vie. « Autrefois, notre cité était entourée de vastes étendues vertes qui l'égayaient. C'était propre. Nous ne ressentions pas la moindre répugnance en dépit de notre pauvreté, car il y avait un certain équilibre entre les couches sociales », déclare un ancien habitant de la cité. Cette situation est demeurée ainsi jusqu'au moment où les affaires de la commune furent confiées à la DEC. « Durant cette période marquée par une gestion anarchique, des terrains ont été attribués. Comme par enchantement, les constructions émergeaient sans le moindre respect des normes en vigueur. Dans cette foulée de passe-droits, les habitants les plus méritants, les familles qui s'entassent dans des logements restreints n'ont bénéficié d'aucun avantage », relate le même habitant. L'agression des grossistes Présentement, la localité dans son ensemble présente l'aspect d'un capharnaüm. L'activité du commerce de gros qui s'y exerce anarchiquement est mise à l'index. Plus d'une centaine de grossistes sont dénombrés à telle enseigne que la voie principale est désignée familièrement par l'appellation « Chemin des grossistes ». « Cela veut dire que cet espace fait partie intégrante du royaume des grossistes. Sinon, comment expliquer l'entrave de la circulation routière ? », s'interroge un autre habitant. Et de poursuivre : « Cette activité ne devrait pas s'exercer dans une zone d'habitation. En plus, à chaque fois qu'il y a contrôle, les grossistes baissent les rideaux ! C'est illégal ! » Le choix d'un tel endroit pour l'exercice d'une telle activité n'est pas le fruit du hasard. Il est déterminé par la proximité des axes autoroutiers. Encore que cela n'a été possible qu'avec les latitudes des autorités locales. Mais ce qui explique l'entichement éprouvé par les grossistes pour ce type de commerce ce sont les marges bénéficiaires accumulées à l'occasion des ventes. « En aval, la demande est importante, car il s'agit des produits relevant de la consommation courante. En amont, l'approvisionnement des grossistes est assuré par le commerce d'importation. Dans cette sphère, les grossistes ne sont soumis ni à l'identification fiscale ni à la facturation », explique un comptable consulté à ce propos. Bien avant leur délocalisation, ces grossistes exerçaient à Bourouba. Mais comme les routes de cette commune étaient étroites, le flux des véhicules lourds acheminant les marchandises vers les entrepôts ne pouvait être drainé, ces grossistes ont alors essaimé dans la localité de Jolie Vue. Ils s'y installèrent en aménageant les rez-de-chaussée d'habitations non achevées en entrepôt, moyennant 8 millions de centimes le mois. Ainsi, en comparant cette zone qui a été conçue exclusivement pour l'habitation et l'activité qui s'y exerce en dehors des normes requises, la disconvenance est éloquente. Par la suite, il s'est avéré que l'usage d'habitation n'est qu'un prétexte. Au début, ce qui intéressait les attributaires des lots de terrain dans cette localité, ce sont les rez-de-chaussée qui pouvaient contenir trois locaux. Allusion faite à une source de revenus équivalente à 24 millions de centimes le mois versés par les grossistes en guise de location. Les éléments qui adhéraient aux organisations satellites du pouvoir ont bénéficié de lots de terrain qu'ils ont réservés à cet usage. En même temps, ils s'adressaient aux jeunes en leur disant : « Etudiez ! Travaillez ! », a remarqué le même habitant qui nous accompagnait. Pour sa part, M. Chebala, vice-président chargé de l'urbanisme, affirme que cette activité n'est d'aucun intérêt pour la commune et encore moins pour les habitants. « Ce sont les grossistes eux seuls qui tirent profit de cette activité », a-t-il reconnu. Quant à la réorganisation de cette branche d'activité ou à son éventuelle délocalisation, le même élu explique que cela relève des prérogatives du ministère du Commerce et de la DCP. « Néanmoins, nous pensons qu'avec l'aménagement du boulevard interquartiers de Kouba, un changement d'activité pourrait se produire et en conséquence, les grossistes pourraient s'établir ailleurs », a estimé cet élu. La position de la DCP est claire concernant ce cas. La réorganisation de cette branche d'activité sera effective avec l'ouverture du marché de gros d'El Harrach, qui sera opérationnel dès l'automne prochain. Si les différentes parties concernées respectent leurs engagements, cette structure proposera sans doute un début de régulation du commerce de gros. Mais pour le moment, la localité de Jolie Vue demeure dans la même situation. On y relève un manque d'espaces verts, un manque d'espaces socioculturels et sportifs. En haut, au sein de l'ancienne cité, les habitants s'avèrent frustrés et reclus pendant que les plus jeunes se consument à force de consommer des drogues. En contrebas, des grossistes cossus se renforcent de plus en plus en accumulant d'énormes profits. Contraste décevant. Mais tout dénote une prédominance de « l'avoir » sur « l'être ». Ainsi, au terme de notre visite, M. H., un ancien habitant de la cité, a préféré se taire en lançant au loin son regard. Ce regard voulait sans doute dire : « La cité n'offre guère une Jolie Vue. »