Dans la mythologie antique, parmi les douze travaux demandés à Hercule, le nettoyage de ces célèbres écuries, où vivaient des milliers de bestiaux, est passé dans la postérité sans doute par l'ampleur de la tâche. Et surtout parce qu'impossible à réaliser jusqu'au moment où, pour parvenir à ses fins, le demi-dieu a dû détourner deux fleuves... Au regard des procès de certains dignitaires du régime Bouteflika, des véritables scandales d'Etat, où se mêlent ministres, hauts fonctionnaires, hauts gradés de l'armée, des services de sécurité et autres barons de la drogue dans des connexions plus que troubles, les sentiments d'indignation qu'ils suscitent au sein de l'opinion sont sans commune mesure. Le tout sur fond de prédation de biens publics, couverte par une corruption outrancière. Comment ne pas être outré d'apprendre au fur et à mesure des audiences que des narcotrafiquants, recherchés, au nom parfois évocateur, comme Zendjabil et autres, avaient leurs entrées dans les ministères ou même dans l'entourage des état-majors des services de sécurité de la police et de l'armée, comme l'a montré le procès de l'ancien directeur de la Sûreté nationale, le général Hamel. C'est dire le degré d'accointance, du réseautage entre la criminalité et certains cercles de pontes du régime au sein même des institutions officielles et des services de sécurité. «Echange de bons procédés» basé sur la corruption «à tout-va» et dilapidation de biens publics par des prédateurs peu scrupuleux et n'ayant que mépris pour l'intérêt national. Le tout parfaitement organisé, une répartition des tâches qui associe activités criminelles, blanchiment d'argent sale, à la protection et l'impunité pour les délinquants et criminels. Bref, une association entre maffia et clans au sein de l'Etat et des services de sécurité. Une maffia politico-affairiste, parasitaire liée au crime organisé international. Comment peut-on contenir l'indignation lorsque les comptes rendus d'audience dévoilent que tel ou tel narcotrafiquant pourtant recherché, y compris à l'étranger, a pu jouir d'une étonnante liberté de mouvement, jusqu'à offrir, sans se cacher, des gracieusetés ici et là, en finançant le mariage du fils de tel général ou de la fille de tel ministre, offrir la construction de villas au haut fonctionnaire, au haut gradé concerné et/ou leurs rejetons pour l'autre. Impunité et protection rendus en échange, le tout couvert par une omerta des plus officielles, face à laquelle des indignés, des lanceurs d'alerte et des citoyens, animés par l'intérêt général, le sens du devoir, avaient toutes les peines du monde à briser cette chape de plomb, parfois même au péril de leur vie. Ainsi fonctionne un système maffieux politico-affairiste, qui en fait aujourd'hui une spécificité qui a évolué depuis le moment où feu le président Boudiaf fustigeait la maffia politico-financière qui entendait mettre le pays en coupe réglée au début des années 1990. Echafaudé durant des décennies, parfaitement rodé au fil des ans et des combines, il est évident que son démantèlement, y compris avec la meilleure volonté du monde, prendra du temps. Pour la simple raison que les composantes et parties qui le constituent sont tellement imbriquées entre elles qu'elles gardent à la fois une capacité de résistance et surtout de nuisance. L'ampleur de la tâche rappelle celle qu'a dû accomplir Hercule. Aussi les détenteurs du pouvoir réel devraient comprendre que s'ils veulent changer l'ordre des choses, ils doivent s'appuyer sur les forces du changement et du renouveau, avant tout. D'abord par des gestes d'apaisement en mettant fin au harcèlement en direction de la grande masse des indignés, qu'ils soient journalistes, cyber-activistes ou lanceurs d'alerte. Et surtout en encourageant ou du moins en s'abstenant d'entraver d'une manière ou d'une autre l'impétueux mouvement du changement, dont le hirak en est la composante populaire. Faute de quoi, l'initiative risquerait de faire long feu.