Le nominé à la présidence du gouvernement, Hichem Mechichi, a exprimé, avant-hier, suite à la première quinzaine de concertations, sa volonté de former un gouvernement de réalisation économique et sociale, plaçant le citoyen au cœur de ses intérêts et de ses priorités. M. Mechichi s'est dit pour un gouvernement de compétences indépendantes. Laquelle décision, quoiqu'attendue, a soulevé diverses réserves de la part des partis politiques, exclus de la gouvernance directe. Le chef du Bloc parlementaire d'Ennahdha, Noureddine Bhiri, a déclaré hier, suite à sa rencontre avec Mechichi, que «son parti recommande toujours de former un gouvernement politique basé sur les quotas partisans». Il a conclu ses propos sur un ton sceptique : «Si le gouvernement doit tomber qu'il tombe !» Le même refus a été constaté auprès de l'ex-chef de gouvernement de la troika, l'islamiste Ali Laareyedh, qui a déclaré, avant-hier, sur Al Watania TV, que «l'on ne pouvait se permettre de laisser de côté les résultats des élections et les partis politiques. Pareil gouvernement d'indépendants, à ce stade, est antidémocratique». Ali Laareyedh a assuré que «son parti ne craignait guère de se référer de nouveau à la volonté du peuple, via des élections anticipées». Ennahdha ne veut pas sortir bredouille d'élections où les islamistes sont sortis premiers. Mais, ils ont raté l'aubaine, en manquant la désignation de Habib Jamli, rejetée par l'Assemblée. Les réticences ne se limitent pas à Ennahdha. Haykel Mekki, député du parti Chaab, a déclaré hier sur Radio Shems Fm que «des élections anticipées valent mieux que ne pas participer au gouvernement». Pourtant, Hichem Mechichi était clair dans la justification de sa décision de recourir à des compétences indépendantes. Il a estimé «impossible de trouver une formule pouvant rassembler tous les partis politiques au sein d'un même gouvernement et garantir le minimum de stabilité politique dans le pays», a-t-il déclaré. Il a proposé quatre axes fondamentaux pour le travail de son prochain gouvernement. Il s'agit de l'arrêt de l'hémorragie des finances publiques, la promotion de l'investissement, la préservation des entreprises publiques et, enfin, la lutte pour une discrimination sociale positive et la diminution des écarts entre les différentes régions du pays. Lequel programme serait guidé, selon son initiateur, par des compétences nationales indépendantes. Le rôle de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), selon M. Mechichi, est de contrôler le suivi de réalisation du programme de ce gouvernement, une fois que l'ARP aura accordé sa confiance à ce programme. Divergences Pareilles réactions, en provenance d'Ennahdha et de Chaab, critiquent l'option de gouvernement de compétences indépendantes et lui reprochent l'absence de ceinture politique pour soutenir ses actions. Cet argument est toutefois non fondé, selon le député Mustapha Ben Ahmed, chef du bloc parlementaire de TahyaTounes. Selon lui, la Tunisie de l'après-révolution n'a jamais offert de ceinture politique à ses gouvernements, hormis à un certain moment avec la première troika, sous Jebali. Après, les islamistes ont, eux aussi, compris qu'ils ont intérêt à faire du recul par rapport au gouvernement, pour ne pas avoir à subir la sanction du pouvoir. Avec Habib Essid et Youssef Chahed, tous les partis de la majorité gouvernementale critiquent, dès le premier jour, le gouvernement auquel ils viennent d'accorder leur confiance. Les partis veulent être au diapason avec le refus populaire, non défendre les politiques gouvernementales restrictives, pas très porteuses sur le plan électoral. Le choix reste toutefois très limité devant les partis politiques. Soit ils acceptent la proposition de Mechichi, soit ils vont vers des élections législatives anticipées. Cette dernière option serait l'alternative, si le président Saied dissout l'ARP, suite à un éventuel rejet du gouvernement Mechichi. Le choix n'est pas facile, surtout qu'il y a une marée favorable à un gouvernement de technocrates, qui pourrait se traduire dans un rejet de ces partis dans les urnes. Toutefois, pour le moment, l'unique bénéficiaire potentiel serait le Parti destourien libre (PDL) de Abir Moussi, héritière de l'ancien régime, qui monte dans les sondages. Mais, il y a, également, de possibles listes populaires, réunies autour des slogans de Kaïs Saied, qui garde la confiance des masses. Ennahdha et les autres partis, notamment QalbTounes, ont peur de perdre leurs acquis dans un nouveau passage devant les électeurs. La décision n'est pas facile à prendre. Tunis De notre correspondant Mourad Sellami