Je suis né en 1542 à Dar Nhass, la fabrique d'armes, installée près de la porte de Bab El Oued, de mon père Sébastiano Cornova, originaire de Venise et de ma mère El Jazaïr. Grâce au génie de mon père, je suis le plus grand canon, car je mesure 6,25 mètres de long avec une portée de 4872 mètres. Marié à la belle «Madina Dzaïr» (Alger), je me suis installé sur le môle Kheireddine Barberousse, pour être à l'avant-garde de la défense de ma belle bien aimée convoitée par les «Sultans» de l'Europe. Avec mes frères canons, plus petits mais tout aussi redoutables, nous défendions si bien Madina Dzaïr qu'elle a pris le nom d'«El Mahroussa», La Bien gardée. Tellement bien protégée que les habitants m'ont honoré en me donnant par affection le nom de Baba Merzoug, qui veut dire à la fois : «Le béni, bienfaiteur et porte bonheur». L'inviolabilité de la baie avait endormi le Dey Hussein et son armée, malgré le plan d'invasion du commandant-espion Boutin, commandé par Napoléon en 1808 et les menaces depuis 1827. Ma grande réputation a fait que l'amiral Duperré, commandant la flotte d'invasion (675 navires), a décidé de me déporter en France comme trophée de guerre et de me donner un surnom féminin, «La Consulaire», pour humilier le viril combattant que j'étais. Prisonnier sous le numéro 221, j'ai été embarqué le 6 août 1830 à bord du bateau La Marie Louise, commandé par le capitaine Caspench. Dans la lettre adressée à son ministre de la Marine, l'amiral Duperré avait écrit : «C'est la part de prise à laquelle l'armée attache le plus grand prix». Après 3 ans de captivité à Toulon, on m'a transféré le 27 juillet 1833 à Brest. Pour me torturer, on m'a érigé en colonne dans la cour de l'arsenal du port de Brest, face à l'Océan atlantique, entouré de barreaux et, suprême humiliation, on m'a mis un coq (symbole de la France) sur ma bouche, cette bouche de feu qui a craché des milliers d'obus contre les flottes ennemies. En 1919, j'étais heureux d'apprendre que mon retour à la Maison Algérie avait été exigé par des Français Henri Klein et l'amiral Cros, du Comité du Vieil Alger, association de défense du patrimoine de l'Algérie. Malheureusement, leur demande avait été rejetée par le gouvernement de l'époque. Le 3 juillet 1962, après 132 ans de captivité, l'Algérie est libre et indépendante. Je savourais notre victoire et je me disais enfin je vais rentrer à la Maison Algérie. Je suis le plus ancien déporté algérien et je n'ai jamais compris pourquoi la France a tardé à me rendre ma liberté, malgré l'accueil chaleureux en Algérie des présidents Giscard D'Estaing, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron qui a compris l'intérêt politique de la France de restituer le patrimoine des pays d'Afrique. Ainsi la restitution le 5 juillet 2020 des crânes des martyrs algériens du XIXe siècle a été un geste fort qui m'a redonné espoir quant à ma prochaine libération et j'ai fait un rêve prémonitoire : ça sera le 1er novembre 2020, jour anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération nationale de 1954. Vieillard, je me sens si seul. Je veux rentrer chez moi à la Maison Algérie, je veux sentir la chaleur familiale qui me manque depuis 190 ans ; j'ai rêvé qu'au plus tard le 1er novembre 2020 je retournerai chez moi à la maison, par mer comme je suis parti, accompagné par notre Marine nationale, digne héritière de notre glorieuse Marine algérienne. L'amitié est à portée de canon, libérez-moi le 1er novembre 2020, chargez-moi de messages d'amitié, je serai l'émissaire de la paix. Port de Brest, le 1er septembre 2020 Baba Merzoug Message recueilli par télépathie et transcrit par Smaïl Boulbina, scribe de Baba Merzoug