Le ministère français des Affaires étrangères n'a pas reçu de demande officielle des autorités algériennes en vue de la restitution du canon Baba Merzoug, a-t-on appris, hier, auprès du Quai d'Orsay. Samedi dernier, une conseillère du cabinet de Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, citée par le quotidien français Ouest-France avait indiqué que la France a reçu début juillet une "demande officielle" de l'Algérie pour récupérer le canon qui a défendu Alger pendant deux siècles et qui trône aujourd'hui, depuis les années 1830, à l'Arsenal de Brest (France). "Une demande officielle a été déposée début juillet auprès du Quai d'Orsay, qui examine le dossier", avait-elle affirmé. "Plusieurs demandes émanant d'associations algériennes ont été déjà déposées par le passé sans succès, mais il s'agit de la première demande officielle", selon elle. "La marine française est très attachée à ce canon qui fait partie du patrimoine de la Défense", avait ajouté la conseillère de M. Le Drian. Le rebondissement dans l'affaire "Baba Merzoug", cette pièce d'artillerie unique au monde et en avance pour son temps, intervient après des demandes d'associations algériennes pour son rapatriement, notamment la demande de la fondation Casbah, faite au mois de février dernier par son président, Babaci Belkacem. C'est une histoire épique que celle de ce canon algérois, tout en puissance avec ses sept mètres de long et tout en fonte, "captif" depuis 182 ans à Brest, dans la partie militaire de la ville française, pour avoir seulement "défendu" la ville d'Alger des envahisseurs, dont les Français. Au 15e siècle, Alger était une citadelle imprenable, coquettement surnommée par ses habitants "El Mahroussa" (La bien gardée). Cette situation a duré plusieurs siècles, en dépit des attaques de Charles Quint ou des Français, procurant paix et sérénité à ses habitants, jusqu'à la chute d'Alger, en 1830, et le début de l'invasion française en Algérie. Pour la médina d'Alger, à cette époque de grands bouleversements politiques et militaires en Méditerranée, ce canon faisait office de puissant "protecteur". Long de 7 mètres, ce canon dissuadait, à lui seul, toute velléité belliqueuse contre la ville d'Alger, cité des Rais Hassan et autre Korso, et très souvent envoyait par le fonds les navires de ceux qui voulaient soumettre El Djazaïr. Il en est ainsi, par exemple, de l'invincible armada de Charles Quint, qui a été terrassée dans la baie d'Alger par Baba Merzoug et. les intempéries. Avec la moitié de sa flotte détruite par le plus puissant des mille canons qui gardaient Alger, Charles Quint est reparti défait et dépité d'avoir échoué, après un siège de plusieurs mois, de faire tomber Alger pour se venger de la perte d'Oran. Aussi, dès les premiers jours de la chute d'Alger, en juillet 1830, le baron Guy Duperré s'est-il empressé de se saisir de Baba Merzoug pour l'expédier immédiatement à Brest, où il gît jusqu'à nos jours sous une nouvelle identité, "La Consulaire", son appellation française. Une pièce unique dans son genre Quel sort terrible pour Baba Merzoug, l'un des plus grands canons jamais construits par l'homme, que l'exil. Baba Merzoug est venu au jour à la fin des travaux de fortification de la ville d'Alger, en 1542. Fabriqué par un fondeur vénitien suite à la commande du pacha Hassan, qui avait succédé à Kheireddine, sa portée était exceptionnelle pour l'époque, 4 872 mètres, et un poids impressionnant, 12 tonnes. C'est une superbe pièce d'artillerie, unique en son genre, finement ciselée, qui va dorénavant défendre Alger, la rendant inviolable, absolument inattaquable par mer. Servi par quatre artilleurs, le canon est dirigé vers la Pointe Pescade (Raïs Hamidou, ouest d'Alger), interdisant dorénavant à tout navire de s'approcher d'Alger. En 1671, l'histoire de ce canon terrible va basculer : il interdira à la flotte de l'amiral Duquesne, qui assiégeait Alger, de s'emparer de la ville. Un fait de guerre qui va lui valoir une animosité tenace de deux siècles, après une vengeance terrible des Français. Le consul de France et missionnaire auprès du Dey à Alger, le père LeVacher, accusé de traîtrise par un certain Meso Morto qui avait tué le Dey et fomenté une révolte lors de négociations avec l'amiral Duquesne, dont la flotte bombardait Alger, a été mis dans la bouche du canon et "tiré" avec un boulet vers le navire amiral français. Il sera appelé, dès lors, par la marine française, "La Consulaire". Mais, au fait, d'où vient le nom de ce terrible canon qui atteste, jusqu'à aujourd'hui, 182 ans après l'invasion d'Alger, de sa terrifiante renommée ? Selon Belkacem Babaci, président de la fondation Casbah, "la puissance de ce canon, et la longue portée de ses boulets a fait que les gens d'Alger, très impressionnés, ont considéré qu'il était un don de Dieu (Rizk Allah) et apporte la fortune". Baba Merzoug (père fortuné) était né. Après une longue période d'exil, le retour ? Ayant été l'une des toutes premières prises de guerre en 1830 lors de l'invasion d'Alger, l'amiral Guy Duperré le fait immédiatement expédier à Brest. Trois ans plus tard, il est exposé au public avec sur sa "bouche" un Coq (symbole français) et gît sur son emplacement actuel depuis le 27 juillet 1833. "Baba Merzoug", c'était le protecteur bienveillant des Algérois, il était devenu l'âme d'Alger et son farouche gardien, d'où le qualificatif d'"El Mahroussa", ou "la bien gardée", à l'époque des courses et de la flibuste en Méditerranée. En 1999, un comité pour la restitution du canon algérien est créé par plusieurs personnalités qui ont diversifié les contacts en France et en Algérie pour le retour de Baba Merzoug dans sa patrie. Un retour qui devrait intervenir, selon M. Babaci, en 2012 à l'occasion du cinquantenaire de l'Indépendance de l'Algérie. Le destin de Baba Merzoug, ainsi baptisé par les Algérois au 15e siècle, devrait connaître de rapides développements, même si beaucoup de travail reste à déployer pour son retour en Algérie.