La proposition du président iranien Mohamed Khatami d'un dialogue des cultures et des civilisations en septembre 2000 à New York a, depuis, fait son chemin. L'année 2001 a été proclamée « Année des Nations unies pour le dialogue entre les civilisations ». Depuis, ont été créés le Centre international pour le dialogue entre les civilisations en Iran et la Fondation méditerranéenne pour la culture en Espagne. Le président du gouvernement espagnol, José Luis Zapatero, a proposé récemment pour « dominer les malentendus entre le monde occidental et l'islam » d'aller vers « un dialogue constructif entre les civilisations, les peuples et les religions ». Le président Bouteflika a affirmé souscrire à cette démarche dans son principe, car « il est urgent d'enrayer la dynamique centrifuge qui tend à éloigner toujours davantage l'une de l'autre les civilisations musulmane et occidentale ». « L'humanité peut éviter le chaos pour peu qu'elle perçoive la diversité comme un facteur de progrès et une source intarissable d'enrichissement mutuel plutôt qu'une menace destructrice », a-t-il souligné. Hier matin, le siège de l'Unesco a abrité une conférence sur le dialogue entre les civilisations, les cultures et les peuples en présence des présidents Khatami et Bouteflika, à l'initiative de l'Iran et de l'Algérie (l'Algérie étant le premier pays à signer en 2003 la convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel). « Aujourd'hui, la nécessité du dialogue entre les nations et les gouvernements s'est enrichie de la nécessité tout aussi fondamentale d'un dialogue entre les peuples et les communautés. Il s'agit d'une évolution prometteuse », a souligné le directeur général de l'Unesco, Koïchiro Matsuura. Et il a ajouté : « De la même manière, la détermination du président Bouteflika pour faire prévaloir le dialogue sur le conflit grâce à la pratique démocratique ou l'affirmation qu'il n'y a pas de civilisation pure - chaque civilisation se nourrissant nécessairement de l'apport des autres - et la nécessité en conséquence de s'ouvrir à l'universel ont constitué des positions politiques majeures. » Dans son intervention, le président Bouteflika s'est inscrit en faux contre l'idée, voire le concept de « choc des civilisations ». « Rien - ni dans le passé proche ou lointain, ni dans le présent - ne peut accréditer la thèse du choc des civilisations des deux rives de la Méditerranée », a-t-il affirmé. « Toute confrontation généralisée entre civilisations serait suicidaire ; et la théorie du choc des civilisations pousse incontestablement dans ce sens. » Et de préconiser : « Trouver les voies d'un dialogue intercivilisationnel, ouvert et fécond ne peut se faire qu'en aidant l'imaginaire occidental à se libérer du réel choc traumatique qu'a représenté pour lui, dans le dernier quart du XXe siècle, la prise de conscience frustrante que sa civilisation n'était pas la civilisation et que la renaissance des autres civilisations, en particulier chinoise, hindouiste et musulmane, exigeait que soit posée, en d'autres termes, la dialectique de l'un et du multiple, du particulier et de l'universel. Qu'aucune civilisation, l'occidentale pas plus que les autres, ne détient les clés de l'universel, mais que chacune participe à sa vitesse, et aux niveaux qu'elle privilégie, à un processus contrasté d'universalisation du genre humain, processus à jamais inachevé. » Les facteurs de blocage Selon le président Bouteflika, « nous vivons aujourd'hui un troisième âge de la mondialisation, marqué par la réunification et la rétraction de l'Occident et par un retour à la multipolarité du monde... Remplacer le ‘‘péril rouge'' par le ‘‘péril vert'', c'est tout simplement vouloir continuer de manière absurde le second âge de la mondialisation fondé sur la bipolarisation des forces ». Et cette réfutation ferme : « Non, le terrorisme n'est pas inscrit dans la matrice de la civilisation musulmane... Cette forme d'expression politique brutale, exécrable à coup sûr, n'est l'apanage d'aucune civilisation, mais le lot commun de toutes les civilisations, de tous les peuples, à certains tournants de leur histoire. » Le chef de l'Etat a ensuite invité à un diagnostic des facteurs de blocage du dialogue entre les civilisations. L'un de ces facteurs - le principe d'intervention d'humanité avancé par certains pays développés dans les années 1980-90 « sous la forme de droit d'ingérence humanitaire, en vertu duquel les pays occidentaux décident d'intervenir, en dehors de toute légalité internationale, dans les affaires intérieures du Sud. Ils s'érigent ainsi à la fois comme juges et parties et sont seuls à apprécier la situation qui motive officiellement leur intervention. Ils sont les seuls à décider de l'opportunité de celle-ci et des moyens à mettre en œuvre. » Pour le président Bouteflika, le droit d'ingérence est « totalement antinomique avec le principe même de dialogue entre les pays du Nord et ceux du Sud ». Le second frein au dialogue entre le Nord et le Sud serait la remise en cause du système multilatéral de coopération internationale par les pays développés. « Comment alors, avec un milliard d'êtres humains vivant dans un état d'extrême dénuement, peut-on parler de solidarité au sein du genre humain, encore moins de maintien, voire d'épanouissement, de la diversité culturelle, fondement irremplaçable du dialogue entre les civilisations ? », a-t-il fait remarquer. Isoler le terrorisme Viennent les préconisations comme celle de « généraliser, organiser la prise de conscience de la solidarité différentielle des civilisations est la meilleure riposte que l'humanité peut faire aux tenants du choc des civilisations. Promouvoir le dialogue des civilisations constitue un contre-feu pacifiant à l'idéologie guerrière du ‘‘choc'' capable de la faire refluer ». « En particulier, la lutte contre le terrorisme devient l'affaire de tous et à tous les niveaux. Elle nécessite un effort multidimensionnel solidaire de tous les Etats et de tous les peuples, des deux ensembles civilisationnels. » (...) « Une alliance des civilisations des deux rives de la Méditerranée pourrait se donner pour objectif d'isoler le terrorisme en le définissant avec précision et en le différenciant clairement de la violence légitime des peuples en lutte pour recouvrer leurs droits nationaux. » Autre préconisation, celle des réformes : « Dans le même temps, nous devons accélérer les réformes dans nos pays, approfondir le pluralisme en tant que fondement de la démocratie et faire avancer les droits de l'homme. » « Pour que le dialogue se substitue au repli sur soi et devienne un facteur de stabilité et de sécurité internationales, pour qu'il devienne une force au service du bien-être de l'humanité, il est impératif que l'hémisphère sud, particulièrement sa composante arabo-musulmane, se mette au diapason des nécessaires réformes qui s'imposent aujourd'hui au monde. Cela, nous ne saurions le nier. » « Le mal ne se trouve pas forcément et toujours dans l'autre, et chez l'autre, et nos malheurs n'ont pas toujours pour origine l'autre. » Les oulémas invités à l'« ijtihad » et au « tajdid » « Nos oulémas, nos docteurs de la loi, nos théologiens, nos spécialistes du fiqh, nos érudits du ghayb ou du mystère de la création devraient comprendre les tendances et les rythmes du monde moderne et se livrer à un tafsir, à un ijtihad et à un tajdid pour aider la oumma musulmane à s'adapter à son temps et à ne plus rester en marge de la locomotive du progrès et du développement. » Le président iranien, Mohamed Khatami, fera valoir que le dialogue entre les civilisations « nécessite... un effort supplémentaire pour rendre la politique plus morale, plus empreinte de considérations culturelles ». Et « tant que la politique reste étrangère à la morale et ne se laisse pas imprégner par la culture, tant que c'est l'odeur du pétrole qui la guide dans son orientation, les droits de l'homme ne sont pas défendus ou, plus exactement ce qui est défendu, c'est l'homme qualifié de loup pour l'homme ». Pour le Président iranien, « le dialogue des civilisations et des cultures en politique nécessite un débat plus approfondi sur des concepts fondamentaux tels que la démocratie, la justice et la paix. Ce qui devrait nous permettre de parvenir à une définition commune de ces notions en écartant toute interprétation ethnocentrique s'appuyant sur la force et la domination. » (...) « Le dialogue entre les civilisations signifie dans sa dimension politique le rejet du terrorisme et de la violence. Car la violence étant sourde et illogique, elle ne laisse aucune place à la compréhension. » Pour le directeur général de l'Unesco, Koïchiro Matsuura, « ce dialogue s'accompagne nécessairement d'un ancrage solide dans la démocratie, les droits de l'homme et les libertés fondamentales, seuls garants d'une paix et d'un développement durables et conditions indispensables à toute réconciliation. » La séance de la matinée a été ponctuée par un échange avec la salle. Le débat s'est poursuivi dans la soirée entre les Présidents iranien et algérien et les participants.