Tout en précisant que l'interactivité n'est possible qu'avec la présence de l'enseignant et de l'enseigné, Hakim Amrouche, enseignant de philosophie à la faculté des sciences humaines et sociales et l'université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, nous a souligné, dans cet entretien, que l'enseignement à distance utilisé durant la crise sanitaire a provoqué des inégalités sociales et montré le désengagement de l'Etat à assurer l'égalité des chances. Le même universitaire a estimé aussi que personne ne pourra prétendre récupérer le retard accusé sans qu'un minimum des contenus pédagogiques, renvoyant à un volume horaire de travail minimal, ne soit fait. Propos recueillis par Hafid Azzouzi
-Comment voyez-vous la reprise universitaire prévue pour le 19 septembre ? Tout d'abord, il y a lieu de souligner qu'on ne peut parler de reprise qu'en présentiel. Ce dernier étant une exigence de l'acte même d'enseigner. S'il y aura reprise, vaut mieux tard que jamais. La décision de suspension des activités pédagogiques survenue en mars n'a pas tenu compte de l'indissociabilité du présentiel de l'acte d'enseigner ainsi que de la durée de la pandémie. Cela a généré tout le retard accusé. Et ce retard, personne ne saura ni ne pourra prétendre le récupérer sans qu'un minimum des contenus pédagogiques, renvoyant à un volume horaire de travail minimal, ne soit fait. -Quels sont, selon vous, les avantages et les inconvénients de l'enseignement à distance utilisé durant la crise sanitaire provoquée par la Covid-19 ? Ce qui a été utilisé n'est pas de l'enseignement tout court, pour ensuite le qualifier de formation à distance ou le comparer à l'enseignement en présentiel. De l'aveu même du premier responsable du secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, qui était l'invité de la rédaction du lundi 7 septembre 2020 sur les ondes de la radio chaîne III, ce qui a été mis en œuvre depuis la décision de suspension des activités pédagogiques a manqué gravement d'interactivité. C'est pour cela que nous n'avons jamais cessé de sonner le glas pour attirer l'attention. L'interactivité, qui matérialise l'acte d'enseigner, n'est possible que lorsque l'enseignant et l'enseigné sont mis en présence. La visioconférence, c'est ce qu'elle réalise : un présentiel à distance. Alors que dans l'enseignement à distance classique, appelé aussi «enseignement par correspondance», du présentiel est organisé périodiquement ou par intermittence. Quant au projet appelé par la tutelle «enseignement à distance» ou «télé-enseignement», il est inscrit parmi les priorités du ministère, et ce, depuis 2016. De grands préparatifs sont en cours et touchent même à la loi sur l'enseignement supérieur. L'objectif recherché est la dématérialisation à terme de l'Université et sa sublimation en une forme virtuelle. Le prétexte mis en avant est l'effectif des étudiants et le nombre des nouveaux bacheliers, qui auraient franchi un certain seuil au-delà duquel l'Etat serait dans l'incapacité de garantir une place pédagogique pour tous. Ce projet va avoir, de toute évidence, des conséquences inéluctables, notamment sur le métier de l'enseignant et, dans le cas d'une coexistence de l'université physique avec l'université virtuelle, sur les critères d'admission. Mais, cela est un tout autre débat. Par contre, ce qu'il faudrait rappeler avec insistance, c'est que ce semblant de «télé-enseignement» a creusé les inégalités sociales et montré le désengagement de l'Etat à assurer l'égalité des chances, la gratuité de l'enseignement, et surtout le danger qui plane sur le caractère public de l'université algérienne. -Que préconisez-vous pour assurer une reprise susceptible de contribuer de manière effective à rattraper le retard qu'enregistre l'année universitaire en cours ? Il n'y a pas que l'année en cours. L'année suivante est également concernée. C'est pourquoi il faut reprendre, et en présentiel. La date du 19 septembre, puisqu'elle a été retenue, n'est pas loin. Mais, il va falloir ne pas la reporter, quelle que soit l'allure de la courbe des nouveaux cas de contamination à la Covid-19. Si cette courbe renseigne sur la propagation du virus causal dans la population, elle ne renseigne nullement sur la situation sanitaire. Tant que les malades sont bien pris en charge, la situation est non seulement maîtrisée, la maladie est même endiguée. C'est en surmontant la peur qui nous habite que nous pourrons voir clair et mieux nous organiser et nous concentrer sur le sauvetage de l'année en cours en évitant de trop grignoter sur l'année suivante qui est déjà entamée. L'obligation au respect des mesures barrières, c'est bien, mais la responsabilisation des membres de la communauté universitaire, c'est encore mieux. Sauver l'année pédagogique ne signifie pas la brader. Il y a un minimum de temps de travail à faire. Il doit être fait. L'évaluation aussi ne doit pas être bradée. Mais, malheureusement, des signes avant-coureurs de bradage de celle-ci sont venus dans le dernier arrêté de la tutelle (l'arrêté 633 du 26 août 2020). Le ministère exhorte au report, à l'année suivante, des matières fondamentales et méthodologiques non réalisées, pour raison de confinement, tout en déduisant les crédits qui leur sont alloués, du seuil minimal fixé par la réglementation pour l'admission au palier supérieur. Cela va créer une situation inédite où des étudiants seraient déclarés admis sans conditions, voire diplômés (pour les fin de cycle) alors que des programmes entiers de matières fondamentales et méthodologiques essentielles pour leur cursus et leur formation ne leur ont pas été dispensés.