Les activités pédagogiques au sein des universités, suspendues depuis le mois de mars dernier, en raison de la crise sanitaire, ont repris le 19 septembre non sans couacs. La communauté universitaire a émis des réserves sur la stratégie adoptée par la tutelle en vue de valider le second semestre. Le Pr Jamal Mimouni, du département de physique à l'université des Frères Mentouri de Constantine, revient dans cet entretien sur les modalités de cette reprise, ainsi que celles de la rentrée prochaine. Entretien réalisé par Naïma Djekhar
-La reprise des activités pédagogiques, la semaine écoulée, va-t-elle suffire à sauver l'année universitaire 2019/2020 ? Et qu'en est-il des modalités ? La semaine dernière a donc été annoncée comme celle du retour en classe pour les étudiants par le ministre de l'Enseignement supérieur. Ce sont ces classes qu'ils ont quittées dans la précipitation il y a de cela plus de six mois sous le couvert de vacances de printemps avant l'heure, alors que le deuxième semestre avait à peine été entamé sérieusement. De plus, pour la majorité des universités, le premier semestre de l'année n'avait même pas été validé faute d'avoir pu administrer les examens de rattrapage dudit semestre. La question lancinante, qui se posera depuis avec une acuité croissante aux responsables du secteur, est comment sauver l'année universitaire 2019-2020. En effet, la pandémie a évolué de manière dramatique au point ou les modalités de la reprise sont devenues des plus délicates. On est passé de comptes rendus officiels d'auto-complaisance en juin, où on proclamait que les cours à distance étaient globalement une réussite, à une évaluation plus réaliste au cours de l'été, reconnaissant tacitement que la situation pédagogique n'était pas aussi rose que cela et qu'en plus avec l'évolution de la pandémie et le confinement qui ne se relâchait qu'à petits pas, on évoluait droit vers l'inconnu pour la reprise de septembre. En effet, il apparut je suppose aux yeux des responsable que les taux de couverture annoncés des enseignements des différentes filières étaient largement fantaisistes, manufacturés par une administration qui avaient recueilli des enseignants … dont beaucoup avaient perdu toute attache avec leurs étudiants ! C'était plutôt le taux de placement des documents de cours par les enseignants par rapport au programme sur les plateformes dédicacées ou par email, ce qui est loin de constituer un taux d'assimilation. Ceci dit, il est clair pour tous, enseignants et étudiants, que l'année devait démarrer à tout prix. Tout retard additionnel est préjudiciable à tous et nous rapprocherait un peu plus de l'année blanche, tout en handicapant sérieusement le déroulement de l'année universitaire 2020-2021. -Le système d'évaluation par vagues mis en place permettra-t-il la validation de l'année universitaire avec moins de préjudices ? Si les examens de rattrapage et les soutenances de thèses ont globalement eu lieu pour les étudiants de fin de cycle dès le début septembre, même si parfois au forceps vu le manque de transport inter-wilayas, la situation est autrement plus délicate pour la rentrée des classes à grands effectifs, et de tronc commun notamment. Certes, le problème de la distanciation a été résolu sur le papier en organisant la rentrée par vague, mais à quel prix ? Nous avons en effet une vague d'étudiants qui étudient pour terminer les cours du semestre et puis passer directement aux examens, pour céder leur place à la deuxième vague qui fait de même et ainsi de suite. Il est clair que ce système qui fonctionne comme une sorte de double, voire triple vacation, fait perdre un temps pédagogique énorme et sa seule utilité pourrait bien être en ce qu'il devrait permettre de valider l'année. -Les mesures prises par la tutelle dans ce contexte exceptionnel ont été qualifiées de «flexibles» par la communauté universitaire… Dans son zèle pour réussir à cette épreuve à grand risque, le ministère a émis ces dernières semaines plusieurs arrêtés et directives très généreuses envers les étudiants, tenant compte des difficultés auxquelles ils font face, notamment au vu de l'absence de transport inter-wilayas. Parmi ces dispositions, une facilité accrue pour le passage en année supérieure dans la plupart des cycles d'étude avec un train d'autres mesures, certes temporaires, mais qui tient compte de la situation exceptionnelle que vit l'Université y compris l'état psychologique de la communauté estudiantine. Cette flexibilité, voire cette mansuétude inhabituelle, a surpris plus d'un qui aurait voulu voir appliquer plus de rigueur. Il y a même eu des cas de manipulation manifeste lorsque la dernière circulaire ministérielle jugée probablement trop «libérale», n'a pas été «circulée» au sein de la famille universitaire y compris les étudiants. C'est cette circulaire qui réaffirme le droit de l'étudiant à ne pas rejoindre son lieu d'étude si le transport en commun n'est pas rétabli ou pour toute autre cause même si de nature simplement psychologique, gardant le droit d'avoir des cours ou des examens de substitution. Cette même circulaire dans une débauche d'imagination et de flexibilité suggère aux établissements universitaires d'utiliser le transport du COUS pour acheminer les étudiants de leur wilaya d'origine vers leur université, ou d'examiner en présentiel les étudiants qui habiteraient à proximité d'autres établissements universitaires et cela en déplaçant les équipes pédagogiques sur ces lieux. De plus qu'elle ouvre la voie, en fait implore les équipes pédagogiques à innover encore plus dans la dispensation des cours et examens pour une plus grande flexibilité. Tant et si bien que des voix fusèrent parmi la communauté universitaire pour s'élever contre cette profusion de mesures trop laxistes à leurs yeux et qui nuisent aux finalités de la formation. D'autres allègrement s'exclamèrent : on ne reconnaît plus notre ministère ! D'un autre côté, il est juste de dire que la communauté universitaire sera portée cette année à être plus tolérante et même relâcher les standards de réussite, ce qui devrait se traduire par des taux de succès hors norme. Ceci dit, ne nous étonnons pas aussi lorsque, tout compte fait, il s'avérera que beaucoup étudiants, et surtout des étudiantes, auront décroché et ne reviendront plus sur le banc de l'université. Cela restera un bilan à établir et que nous espérons personne ne fera l'impasse dessus. -Comprendre que le transport inter-wilayas devient le nœud gordien de la crise ? Il n'est pas exagéré de dire que l'absence de transport inter-wilayas est le problème majeur qui entrave la reprise universitaire. En effet, avec la politique de décentralisation des offres de formation pratiquée depuis des années, qui est certainement un acte méritoire en soi, beaucoup d'universités font face à des effectifs estudiantins hors wilaya d'implantation qui souvent dépassent la moitié de leurs effectifs globaux. Ainsi, le fait est là, à moins de payer un prix exorbitant pour le taxi, une bonne partie des étudiants ne peuvent regagner leurs universités. L'autre stratégie plus hasardeuse pratiquée par certains est d'avancer en ricochet, patelin par patelin jusqu'à arriver à destination. Mais lorsqu'on habite à Béchar ou Mostaganem et qu'on se rend à Constantine, cela relève plus de l'aventure qu'autre chose. Ceci d'autant plus que l'arrivée d'effectifs additionnels correspondants aux cohortes de bacheliers qu'il faudra absorber pointe son nez. Le taux de réussite au bac sera un facteur potentiellement déstabilisant pour un système d'accueil estudiantin fragilisé par une mauvaise gestion endémique et maintenant sujet à de sévères contraintes par les règles de distanciation. ...Et les dispositions sanitaires ? Que peut-on dire en ces jours de rentrée sur les mesures préventives prises au sein des établissements universitaires ? Comme nous l'avons vu aux Etats-Unis et plus récemment en France, l'université, par le brassage d'étudiants venus de différentes locations géographiques, s'est avérée être un lieu de dissémination du virus avec l'apparition de foyers de contamination. En ce qui concerne l'université Constantine1, il est notable que toutes les dispositions ont été prises du point de vue sanitaire. Tous les blocs sont rigoureusement anti-Covid-19, avec sens de circulation réglementé, port du masque imposé, test de chaleur à l'entrée, distributeurs de gel disponibles à chaque recoin, salles de classe nettoyées et désinfectées. Bref, un environnement très rassurant, qui est une condition nécessaire pour une reprise réussie. Par contre, ce qui se passera plus tard quant au respect de la distanciation physique lorsque la masse des étudiants aura regagné les cités est un sérieux sujet de préoccupation. Pourront-ils respecter les règles de distanciation avec ce qui est disponible comme chambres et pour le transport estudiantin ? Et puis, que se passera-t-il lorsque ces cités auront à absorber ces cohortes de bacheliers dont l'arrivée pointe son nez pour pas plus tard que décembre prochain ? Le taux de réussite au bac sera un facteur potentiellement déstabilisant pour un système d'accueil qui sera poussé à ses limites.