La période étudiée par l'historien Alain Ruscio** dans ce livre bien documenté et éclairant est «centré sur les espaces coloniaux français, du Maghreb à l'Afrique noire et Madagascar, et de ‘ l'Indochine' aux îles du Pacifique- s'étend du début du XIXe siècle jusqu'aux indépendances des années 1950-1960», précise l'éditeur. Une introduction intitulée Naissances des stéréotypes de l'historien Marcel Dorigny*** accompagne l'ouvrage qui s'ouvre sur une partie qui porte le titre de Conseils de lecture…des images. Dans cette partie du livre Alain Ruscio souligne que «l'Homme d'Occident s'est autoproclamé blanc. Mais cela ne lui a pas suffi : il a voulu magnifier cette couleur, que la Providence pour les uns, la Nature pour les autres, ont affirmé première, originelle. Des grandes découvertes – si mal nommées- à la décolonisation tragique, la Blanchitude, symbole de beauté, de pureté, de lumière, d'élévation, a été le socle solide de bien des convictions. Tous les autres habitants de la planète, catalogués noirs, olivâtres, basanés, bruns, jaunes, rouges, cuivrés… ont été longtemps, trop longtemps, objets de méfiance, de dérision ou de mépris, parfois des trois à la fois…Clichés. Le complexe de supériorité, la certitude d'être seuls détenteurs des critères du beau, du juste, ont été omniprésents dans l'imaginaire occidental depuis quatre siècles. Est-il bien certain que tous ces clichés aient disparu en même temps que les formes les plus brutales de la domination de l'homo occidentalis, sur le monde, l'esclavage et la colonisation? Le flot de grands et petits faits de la vie quotidienne nous invite à une certaine prudence au moment de formuler une réponse». Et… «si en ce début de XXIe siècle, bien des documents présentés ici nous paraissent terriblement, dramatiquement dégradants, ils ne furent pas tous conçus ni perçus comme tels par les contemporains. Tous n'étaient pas alors caricaturaux….Tant d'exemples fourmillent dans ce livre qu'ils amènent une réflexion : pour être à ce point intoxiqués, sans doute a-t-il fallu au moins trois ou quatre générations de Français à avoir été abreuvées de propagande affirmant l'inégalité des races humaines – titre d'un essai du comte de Gobineau, dès 1853, répété à l'infini ensuite – exaltant notre action civilisatrice, pour le plus grand bien des indigènes, mais aussi pour asseoir l'économie française sur une solide base mondiale. Naguère, le professeur Charles-Robert Ageron avait minutieusement décrit l'action persévérante du Parti colonial pour faire adhérer les Français à la politique d'expansion (France coloniale ou Parti colonial? 1978). Action persévérante ? En termes moins choisis, on pourrait écrire : bourrage de crânes. On ne naît pas raciste, on ne naît pas colonialiste, on le devient». Aussi «qui trouva-t-on en face ? Qui protesta ? Nous avons intitulé la troisième partie de cet ouvrage Des voix qui crient dans le désert – le lecteur appréciera le clin d'œil exotique. Car, bien sûr, comme dans toute situation historique, se manifestèrent des esprits indépendants et résistants à l'air du temps qui portèrent la contradiction. Mais ils restèrent en permanence minoritaires, jusques et y compris à la phase finale, les trois guerres de décolonisation (Indochine, Algérie, Cameroun). Ce qui n'enleva rien , au contraire, à leur mérite»…. Et pour finir : «Que le présent travail porte essentiellement sur la période coloniale française (ce qui exclut de facto le Tintin belge d'un autre belge!) stricto sensu, entre 1830 (prise d'Alger, début de la conquête de l'Algérie) et 1962 (fin de la guerre d'Algérie) ne signifie évidemment pas que les formes de domination de l'Occident, et particulièrement de la France, sont nées au XIXe siècle. Elles furent même d'une terrible et quotidienne violence durant la période de l'esclavage, rappelée dans l'introduction rédigée par mon collègue Marcel Dorigny, spécialiste de cette période. A l'autre extrémité du phénomène, l'historiographie considère généralement les Accords d'Evian (mars 1962) comme la date limite de la forme directe de colonisation. Même si personne, évidemment, ne prétendra que toutes les formes de colonisation de domination de l'Occident, et particulièrement de la France blanche (néolonisme, Françafrique, inégalités sociales d'ampleur aux Antilles, à la Réunion, en Kanaky, situation en métropole des mignants venus des anciennes colonies) ont disparu à ce moment». «Il reste sans aucun doute un ouvrage à écrire sur ces persistances.» Ce sera peut-être le prochain livre d'Alain Ruscio. Suivront cinq autres parties Dans la première partie, Le soleil ne se couche jamais sur notre empire, l'auteur souligne que «les hommes et femmes de couleur de cet empire de plus de vingt fois la superficie de la métropole connaissent – subissent ?- la loi française. Le Parti colonial qui devait s'attacher l'approbation de l'opinion publique a méticuleusement échafaudé une politique concertée, cohérente, de conquête des esprits. D'où la propagande aux multiples facettes du Parti colonial». Dans une deuxième partie, Civilisateurs et indigènes, l'auteur relève que «l'attachement à la Mission civilisatrice ne fut pas seulement un voile hypocrite jeté sur des pratiques inavouables. Une étonnante (?) similitude a uni les projets des Républicains qui pour la plupart se réclamaient de la gauche, et ceux des milieux catholiques, à l'époque souvent réactionnaires, en quête permanente d'évangélisation des âmes». Des voix qui crient dans le désert. Dans cette troisième partie, Alain Ruscio note que «tout au long de l'histoire de l'implantation française outre-mer, des voix protestèrent en effet, mais en adoptant des raisonnements bien différents (anticolonialisme à l'état pur, attitudes internationaliste, humaniste, nationaliste…). Trop divisés, trop accaparés par ailleurs, les anti-cononialistes n'ayant pu rivaliser avec le Parti colonial ont été, tout au plus, des frorces d'appoint dans les luttes des peuples colonisés». Dans la postface qui porte le titre de La décolonisation tragique selon l'historien «lorsque l'Européen décolonise, c'est parce que sa politique, son intérêt, ont changé. Mais comme en témoigne une simple lecture des faits (Algérie, Indochine, Cameroun) en tout cas pour la France les peuples conquis et longtemps dominés ont bien joué leur rôle». Dans la dernière partie Légendes, transcriptions et commentaires, Alain Ruscio apporte un éclairage explicatif sur les transcriptions issues des documents recensés (presse, livres...) et remet l'ensemble en perspective. Paris / De notre bureau Nadjia Bouzeghrane *Quand les civilisateurs croquaient les indigènes. Dessins et caricatures au temps des colonies. Par Alain Ruscio, introduction de Marcel Dorigny. Editions Cercle d'art. Sortie en librairie le 8 octobre 2020. **Alain Ruscio est historien, docteur en histoire, chercheur indépendant. Il a consacré l'essentiel de son travail de recherche à l'Indochine coloniale et à la phase finale de cette histoire, la guerre dite française d'Indochine (1945 – 1954). ***Marcel Dorigny a enseigné au département d'histoire de l'université Paris 8. Spécialiste du XIXe siècle et de la Révolution française, principalement dans les domaines coloniaux, il a traité notamment de la place de l'esclavage dans les doctrines libérales du XVIIIe siècle, les courants anti-esclavagistes et abolitionnistes. Quand les civilisateurs croquaient les indigènes Alain Ruscio Marcel Dorigny Octobre 2020 264 pages. Format : 21 x 27 cm / Ouvrage sous demi-étui : couverture cartonnée imprimée et pelliculée, reliure cousue, papier intérieur offset 140 g/m2 Advertisements