Une seconde vague de contamination par la Covid-19 déferle sur le monde, amplifiant les pertes en vies humaines et les dommages économiques, sociaux et psychologiques et retardant le retour à la normale. En premier lieu, cet article analysera l'impact économique et social de cette seconde vague de contamination sur l'économie mondiale et discutera des grands axes permettant de la combattre. Dans une seconde partie, l'article se focalisera sur le cas algérien pour discuter des impacts de la seconde vague et les perspectives économiques et financières pour 2021 au vu des politiques publiques mises en place à ce jour. L'article proposera un plan en trois points pour sortir l'Algérie des crises sanitaire et économique la frappant durement. La crise de la Covid-19 est apparue en Chine en janvier 2020. Sa propagation rapide l'a transformée, à partir du 11 mars 2020, en pandémie. Démunis de moyens de protection médicaux adéquats face à un virus inconnu mais mortel et qui pouvait saturer les structures sanitaires de tous les pays (y compris dans les pays avancés) et aggraver le nombre de décès parmi les populations souffrant d'autres maladies chroniques, les autorités nationales n'ont eu d'autres recours que de procéder au confinement de leurs populations et à la suspension de pans entiers de leurs économies pour casser la chaîne de contamination. Ces deux mesures extrêmes (qui n'ont pas empêché la mort de milliers de personnes, notamment au cours de la première vague) ont causé l'effondrement à grande échelle et de façon soudaine de l'activité économique, mis en péril les moyens d'existence des populations et causé la faillite de nombreuses entreprises de différentes tailles (les secteurs basés sur les contacts humains ont été décimés) et perturbe les chaînes de valeur mondiales. Ce choc sanitaire a conduit à une récession mondiale, creusé encore davantage les inégalités économiques et sociales au niveau de chaque pays et entre les pays eux-mêmes et pesé lourdement sur les ressources budgétaires et extérieures des nations à travers le monde. Depuis fin septembre 2020, la seconde vague tant redoutée de la pandémie de la Covid-19 est en train de déferler avec le risque de se prolonger pendant des mois pour des raisons climatiques. En attendant la mise au point d'un vaccin sûr et efficace qui pourrait intervenir d'ici la fin de l'année 2020, les autorités se retrouvent de nouveau dans une position d'arbitrage entre impératifs de santé (confinement partiel) et considérations économiques majeures (fermetures ciblées). Certains pays ont opté pour un ralentissement de leur réouverture et d'autres pris la décision de procéder à des confinements partiels et ciblés afin de protéger les populations à risque et éviter de nouveau que les structures de santé ne soient submergées. Cette deuxième vague a : 1)- déjà alourdi le bilan en pertes humaines ; 2)- aggravé les dommages économiques, sociaux et mentaux des populations ; 3)- créé les prémisses d'une crise financière d'importance ; et 4)- pesé de nouveau sur la dynamique du marché pétrolier. Face à cette seconde vague, il ne faudrait pas marquer une pause en termes de relance budgétaire d'autant plus que le retour de l'économie mondiale à des niveaux d'activité comparables à ceux d'avant la pandémie sera long et semé de difficultés. Les autorités nationales doivent articuler des politiques publiques combinant mesures d'urgence (pour contrer les effets de la seconde vague) avec des actions en faveur d'une relance économique à moyen terme. En outre, cette pandémie rappelle que d'autres catastrophes vont se produire et il faut désormais se préparer à les affronter, notamment la crise climatique. La seconde vague est en train de prolonger la récession mondiale au-delà de 2020 et probablement 2021, y compris pour les pays avancés Ceci implique davantage d'intervention des pouvoirs publics pour vaincre la pandémie et surmonter la crise économique profonde. Au moment où la seconde vague de contamination de la Covid-19 déferle sur le monde, les autorités sanitaires des différents pays disposent de plus de connaissances sur la maladie et de plus d'outils pour atténuer ses effets pernicieux. De plus, les perspectives de disposer d'un vaccin sûr et crédible se précisent pour l'horizon fin décembre 2020 et le 1er trimestre 2021. Sur le plan économique, les autorités maîtrisent mieux les mécanismes de réponse et améliorent le ciblage des mesures correctives. Un autre élément positif à noter est le retour plus rapide que prévue de l'activité économique en Chine, un des trois pôles mondiaux de la croissance. L'ensemble de ces facteurs ne doit, toutefois, pas inciter les responsables à travers le monde à adopter une attitude de complaisance et relâcher les efforts sur le plan économique. Les pays doivent continuer à vivre avec le virus et travailler sur la base du postulat que le retour à la situation d'avant la pandémie sera long et pourrait ne pas intervenir au moins avant 2022 pour les pays avancés. Les impacts de la seconde vague de contamination sont profonds au niveau mondial Trois points à développer, notamment les effets économiques et financiers de la seconde vague, la situation actuelle et les perspectives du marché pétrolier et les politiques publiques pour les prochains mois. 1- Pour ce qui est du premier point, nonobstant une plus grande expérience pour affronter la seconde vague, le coût de cette dernière est déjà très élevé, occasionnant : (i) Sur le plan humain et selon les données de John Hopkins University, à l'issue de la première vague (début février-fin juillet) et sur une base quotidienne, le nombre de cas de contamination était de 255,428 alors que le nombre de morts était de 5548. Pour ce qui est de la seconde phase (mi-septembre – mi-novembre), le nombre de cas est passé de 298 376 à 593 226 (soit une hausse de 98,8%) alors que celui des décès est passé de 5986 à 9005 (soit une augmentation de 50,4%), reflétant l'intensité de la seconde vague au niveau mondial mais également un ralentissement au niveau des pertes humaines; ajoutons à cela la montée de l'anxiété, du stress, des dépressions et des suicides en raison des pertes d'emploi, du confinement et du manque d'espérance ; (ii) Sur le plan social, le chômage devrait augmenter davantage (vu que certains travailleurs en chômage technique perdront définitivement leur emploi) d'environ 10 millions pour un total cumulé, selon une étude internationale, de 150 millions de travailleurs, frappant durement, notamment les jeunes, les femmes et les travailleurs a faible revenu, alors que la pauvreté va accroître le nombre de personnes affectées, portant le total des personnes affectées à 90 millions de personnes (selon le FMI); (iii) Un accroissement des dépenses budgétaires de 4000 milliards de dollars (portant le total à 12 000 milliards de dollars en 2020), destinées à fournir des compléments de revenus (transferts monétaires, subventions salariales et allocations chômage ciblées) et un soutien aux entreprises vulnérables mais viables (reports d'impôts, moratoires sur le service de la dette et injections de capitaux sous la forme de prises de participation) ; (iv) La consommation complète des injections additionnelles de liquidité de la part des grandes banques centrales, dont le montant total est de 2300 milliards de dollars ; (v) Un prolongement de la récession sur le reste de 2020 et probablement 2021. Grâce aux mesures d'appui mentionnées ci-dessus, le PIB mondial devrait, d'après le FMI se contracter désormais de 4,4%, au lieu de 5,2%, soit une amélioration de 0,8 point de pourcentage par rapport à la projection établie à la fin de la première vague. Si les programmes de relance budgétaire et monétaire ont permis d'atténuer dans une certaine mesure les reculs de croissance économiques aux Etats-Unis (-4,4% au lieu de -4,9%), dans la zone euro (-8,3% au lieu de -10,2%) et en Chine (1% au lieu de -1,9%), les pays en voie de développement fragiles enregistreront, pour leur part, une chute de croissance plus élevée (-1,2% au lieu de -1%), creusant l'écart entre les deux groupes de pays ; (vi) Une aggravation de la dette souveraine dont le poids devrait atteindre 100% du PIB mondial. 2- Pour ce qui est du second point, notamment le marché pétrolier, la deuxième vague du virus et un bond de la production libyenne maintiendraient un excédent d'offre en 2021, compromettant les plans de l'OPEP, de la Russie et de ses alliés, de réduire davantage les outputs actuels. Cet excédent d'offre ne disparaîtra pas sur le moyen terme surtout si l'Iran revient sur le marché international. Quant à la demande, aucun bond significatif ne se dessine à moyen terme pour plusieurs raisons, notamment un retour très lent à la normale de l'économie mondiale nonobstant la disponibilité d'un vaccin, les engagements au cours de cette pandémie de nombreux pays avancés à prendre à bras-le-corps la crise climatique (et la transition en direction d'une industrie automobile électrique) et les intentions du nouveau président Biden de limiter les activités pétrolières de schiste. En conséquence, le profil des prix sur le moyen terme prévoit une légère remontée du baril pour se situer à $41,6 le baril en 2020, $46,7 le baril en 2021 et $48 le baril en 2022/23. (3) Pour ce qui est du troisième point, à savoir les politiques publiques pour les prochains mois, le principe directeur est de ne pas pratiquer l'austérité qui n'a pas droit de cité dans le contexte actuel. Les autorités doivent dépenser en prenant le soin de cibler les bénéficiaires (populations démunies) et les secteurs (infrastructures) pour renforcer leur efficience, générer plus de croissance et ce faisant créer une dynamique d'autofinancement. En outre, il faut maintenir le dispositif budgétaire et monétaire en place et prendre des mesures complémentaires pour traiter le problème de l'emploi, notamment dans les secteurs fortement affectés par la pandémie (formation, reconversion, investissements dans le vert). Pour les pays émergents et les pays en développement qui font face à des contraintes de ressources (dette lourde, accès aux marchés financiers coûteux ou contraignant), ils doivent se focaliser sur une restructuration des dépenses pour ne garder que celles qui sont prioritaires et bien ciblées (santé, éducation, soutien aux démunis). Pour les pays les plus pauvres, le recours à l'assistance internationale est indispensable pour obtenir des dons, des prêts concessionnels et le cas échéant, un allégement ou une restructuration de dette. L'accès à ce type de ressources demande la mobilisation de la Banque mondiale (BM) et des autres banques multilatérales de développement pour aussi fournir 160 milliards de dollars d'aide pour la lutte contre le coronavirus d'ici juin 2021. Les perspectives de disposer d'un nouveau vaccin sont en train de prendre corps et devraient changer la donne de façon progressive. Un retour à la normale pourrait se dessiner à partir de 2022. Pfizer et BioNTech, groupes pharmaceutiques américain et allemand, ont déclaré cette semaine avoir mis au point un vaccin contre la Covid-19 qui a montré un niveau d'efficacité de 90% au cours de la phase 3, soit la dernière étape avant l'obtention d'une licence de commercialisation. Ce vaccin devrait être soumis aux autorités de régulation pour une approbation d'urgence ce mois-ci. Les deux groupes visent la production de 50 millions de doses en 2020 et 1,3 milliard de doses supplémentaires en 2021. Si cette annonce se concrétisait, elle contribuera sans nul doute à faire un bond considérable dans la lutte contre la Covid-19, ouvrir la voie à un retour à la normale d'ici 2022 et améliorer les perspectives de relance de l'économie mondiale à propos de l'Algérie En Algérie, la seconde vague de contamination de la Covid-19 a un impact fort sur les citoyens et l'activité économique vu la profondeur des déséquilibres macroéconomiques à fin 2019, les rigidités structurelles et le manque de ressources financières. Cette seconde vague est le résultat conjugué d'une réouverture précipitée de l'économie, de la faible adhérence aux gestes barrière et de l'inefficacité de certaines mesures (couvre-feu nocturne). Elle est venue aggraver une situation sanitaire fragile, plonger définitivement le pays dans une récession économique pour la première fois depuis l‘indépendance et infliger des dommages sociaux plus importants. Examinons trois points : 1)- le bilan médical ; 2)- l'impact économique de cette seconde vague sur les grands équilibres ; et 3)- les perspectives économiques. 1)- Pour ce qui est du premier point, il est noté un alourdissement du bilan en pertes humaines du fait de la seconde vague. En effet, selon les statistiques publiées par l'Institut National de Santé Publique (INSP) d'Algérie, à l'issue de la première vague (février-juillet 2020), le nombre de contaminations avait atteint 14 657 personnes alors que le nombre des décès était de 928. Pour ce qui est de la seconde vague (mi-août- 9 novembre), le nombre de contaminations est passé de 38 583 personnes (mi-août) à 62 693 au 9 novembre (accroissement de 62,5%) alors que le nombre de décès est passé de 1370 à 2062 au cours de la même période (une hausse de 50,5%). Si la montée du testing est un facteur à prendre en considération, l'augmentation des cas de Covid-19 et des décès reflète l'intensité de la seconde vague et l'absence de gestes barrière. Un point à noter est que les données de l'INSP ne font, toutefois, pas apparaître deux indicateurs importants, notamment le nombre des hospitalisations (pour apprécier la pression sur les structures sanitaires) ni la structure d'âge des personnes contaminées et décédées (pour établir les vulnérabilités de la population par tranche d'âge). 2)- Pour le second point relatif à l'impact économique, nous notons ce qui suit : (i) en matière de croissance économique, la seconde vague de contamination va aggraver le recul de l'activité de 0,3 points de pourcentage de PIB, portant le taux prévisionnel du PIB en volume à 5,5% en 2020 et installant ainsi le pays dans une récession profonde ; (ii) pour les autres indicateurs, la seconde vague ne les affectera pas outre mesure bien qu'ils demeurent à des niveaux très préoccupants. Ils se présentent comme suit : (ii) une inflation des prix à la consommation de 4,5% ; (iii) un déficit budgétaire de 15,3% du PIB ; (iv) un déficit du compte courant de la balance des paiements de 16,3% du PIB ; et (v) une baisse des Réserves internationales de change (RIC) à environ 42,8 milliards de dollars compte tenu de la nécessité de procéder à un tirage sur les réserves internationales de change (RIC) pour couvrir le déficit global de la balance des paiements d'environ 20 milliards de dollars. Pour ce qui est du déficit du budget, il ne pourra être couvert que par le financement monétaire. Pour 2021, vu l'absence d'un second plan de relance budgétaire en 2020, des intentions budgétaires pour 2021 manquant d'ambitions (reculant de nouveau l'ajustement macroéconomique incontournable), des rigidités structurelles fortement enracinées, la dépendance de secteurs économiques (représentant 35% du PIB) vis-à-vis de la demande publique affaiblie, la baisse des ressources et l'absence de stratégie à moyen terme, les perspectives économiques et financières restent défavorables. Ainsi, les principaux indicateurs macroéconomiques seront : (i) un taux de croissance de -3,5% ; (ii) une inflation qui devrait atteindre 3,5% -4,5% ; (iii) un déficit budgétaire de 14,1% du PIB ; (iv) un déficit du compte coûtant de la balance des paiements de 16,3% du PIB ; et (v) des réserves internationales de change de 23,8 milliards de dollars, un seuil d'alerte d'une crise de change. L'inaction n'est pas une option. L'Algérie a besoin d'une approche proactive et ambitieuse et de mobiliser toutes ses ressources pour faire face à la pandémie et la récession. A l'instar de tous les pays du monde, l'Algérie fait face à des défis colossaux, à savoir une crise sanitaire de très grande ampleur et une récession économique profonde dont les racines remontent à la mauvaise gestion du choc pétrolier de 2014. Il faut un plan à 3 points incluant des priorités, une démarche cohérente et une stratégie de recherche de ressources financières. 1)- Pour le premier point, (i) la priorité des priorités est de préserver la santé des citoyens, assurer des revenus aux travailleurs en difficulté et aux citoyens vulnérables et soutenir les entreprises en difficulté mais viables. (ii) La seconde priorité est de lancer le plus rapidement possible le processus de reprise en main des finances publiques et des comptes extérieurs du pays. En raison de la persistance des déficits budgétaires et du compte courant de la balance des paiements entre 2014 et 2020, l'Algérie a perdu environ 10 000 milliards de DA et près de 120 milliards de dollars. Des montants considérables. (iii) En même temps, il faudra dessiner les contours de la reprise économique en intensifiant le plan agriculture, concevant une autre politique industrielle qui mise non pas sur les industries polluantes (automobile traditionnelle qui est un non-sens aujourd'hui) mais sur les activités vertes, numériques et bleues et les services de pointe. 2)- Pour le second point, et prenant appui sur les priorités mentionnées ci-dessus, le pays doit se doter immédiatement d'outils indispensables (stratégie à moyen terme intérimaire, programme de redressement crédible et étalé dans le temps inscrit, cadre budgétaire à moyen terme) et de canaux d'interaction entre la population et les autorités (dialogue permanent direct, y compris sur les réseaux sociaux, large dissémination des données de base économiques, financières et sociales, conférences, journées d'étude, etc. ) pour faire repartir le pays sur de bonnes bases. 3)- Pour le troisième point, la disponibilité de ces outils de gouvernance permettra au pays d'exploiter toutes les avenues possibles sur le plan domestique (réformes fiscales, rationalisation des dépenses intérieures et extérieures, ajustement du taux de change, démonétisation du dinar, etc..) et international (appuis bilatéraux, et multilatéraux, y compris le recours à un prêt d'urgence auprès du FMI qui permettrait au pays d'obtenir environ 2,78 milliards de dollars sans conditionnalité à l'instar de 81 pays dans le monde qui ont demandé d'en disposer). Faute d'un ajustement macroéconomique et structurel, le pays va continuer à subir une hémorragie de ressources publiques insoutenable et être enfermé dans une «trappe de croissance mineure». Aucun pays dans le monde (y compris les Etats-Unis qui pourtant disposent de la monnaie de réserve globale) ne peut vivre au-dessus de ses moyens et enregistrer d'année en année des reculs du niveau de vie. Aucun pays dans le monde ne peut s'appuyer sur les seules réserves internationales de change comme repère de gestion économique et retarder les décisions idoines.
Par Abdelrahmi Bessaha Macroéconomiste, spécialiste des pays en post-conflits et fragilités. Advertisements