Saura-t-on un jour la vérité sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri ? Tous la demandent, mais beaucoup appréhendent ses conclusions surtout que les regards sont braqués sur une seule direction, c'est-à-dire la Syrie sur laquelle pèse une forte suspicion malgré ses dénégations, et le pouvoir libanais qui ne cesse de faire de l'opposition face à l'ONU dont la puissante machine déferle sur Beyrouth à l'allure d'un rouleau compresseur. Ce que le pouvoir en place a bien compris. Contraint d'accepter une enquête de l'ONU sur la mort de Rafic Hariri, Beyrouth risque toutefois de céder une part de souveraineté, ce qui n'est là que la moindre des conséquences envisageables au stade actuel. Beyrouth, rappelle-t-on, a accepté de manière officielle l'envoi d'une commission d'enquête indépendante chargée de déterminer les responsables de l'attentat qui a coûté la vie le 14 février dernier à Rafic Hariri. Des spécialistes en droit international estiment que la création d'une telle commission aurait des conséquences majeures sur la hiérarchie des services de sécurité libanais. Et sous certaines conditions, la commission pourrait étendre ses compétences à la Syrie, qui domine sans conteste le Liban depuis 30 ans. La campagne de l'opposition anti-syrienne pour une enquête indépendante a pris de l'ampleur à la suite de la publication, il y a quinze jours, des conclusions d'une mission de l'ONU chargée d'enquêter sur les causes et les conséquences de l'attentat, qui a sévèrement critiqué l'enquête menée par les services libanais. Ces services « n'ont ni la capacité ni la volonté d'aboutir à des conclusions satisfaisantes et crédibles », souligne le rapport. Il recommandait la formation d'une commission internationale indépendante, mais avertissait qu'elle ne pourra mener à bien sa mission « tant que l'actuelle hiérarchie des services de sécurité libanais restera en place ». Il fait également assumer à la Syrie la responsabilité de la tension politique au Liban avant l'assassinat de Hariri. Damas dit exactement l'inverse en soulignant que la situation de malaise actuelle a été favorisée par la résolution 1559 du Conseil de sécurité stipulant notamment un retrait du Liban de l'armée syrienne. Après avoir rejeté ce rapport et accusé la mission de l'ONU d'avoir « outrepassé » son mandat, le Liban a accepté, sans condition, une commission d'enquête de l'ONU. « Sur le plan légal, cela signifie que le Liban aura remis tout le processus juridique, y compris la question des services de sécurité, aux mains de la commission internationale », a affirmé un professeur de droit, membre de l'opposition, Chebli Mallat. Sur la base du rapport, la commission pourrait décider qu'elle « ne peut agir tant que le système de sécurité en place n'est pas écarté ». En acceptant la commission, le Liban « n'est plus en position de marchander le démantèlement de ce système », a-t-il ajouté. L'opposition a rendu les régimes libanais et syriens responsables de l'assassinat de Hariri et réclame haut et fort la démission du procureur général et des chefs de six services de sécurité. Selon des experts, l'impact sur le Liban et la Syrie d'une enquête approfondie dépendra du cadre dans lequel elle devra opérer. « Si la commission est formée sous le Chapitre 8 de la Charte de l'ONU, le Liban devra coopérer avec elle. Mais si elle est formée sous le chapitre 7, ses compétences seront beaucoup plus étendues et elle ne sera en aucune manière soumise au gouvernement libanais », explique un professeur de droit, Chafic Masri. Dotée d'un pouvoir coercitif aux termes du chapitre 7, « sa compétence pourrait être étendue aux dirigeants en Syrie », selon un expert qui a requis l'anonymat. « Il lui sera possible d'enquêter sur des actes de terrorisme commis au Liban » avant ou après l'assassinat de Hariri, a-t-il dit, rappelant les attentats à l'explosif qui ont secoué dernièrement des régions chrétiennes au nord de Beyrouth. Toutefois, un diplomate occidental à Beyrouth a écarté l'éventualité d'une commission qui use des pouvoirs du Chapitre 7. La tâche de la commission d'enquête « sera d'établir qui a fait quoi exactement, et cela nécessite la coopération des autorités libanaises et syriennes. S'ils ne coopèrent pas, les deux pays seraient en train de plaider coupables », a estimé ce diplomate sous le couvert de l'anonymat. En tout état de cause, un nouveau registre vient d'être ouvert dans les rapports internationaux. Comme pour la guerre ou la diplomatie préventives, la notion de souveraineté est sérieusement malmenée. Cette violation caractérisée se limitera-t-elle à la question de l'assassinat qui a ébranlé le monde, ou y a-t-il encore là des desseins inavoués ?