Invité hier au centre de presse d'El Moudjahid, Me Mustapha Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de protection et de promotion des droits de l'homme (CNCPPDH, officielle), a tenu des propos inquiétants sur la situation des droits de l'homme en Algérie. Sans complaisance, il a brossé un tableau peu reluisant sur cette situation. Selon lui, ce rapport, greffé à une série de recommandations, a été transmis au président de la République. « Je vais essayer d'aller au fond des choses », a-t-il déclaré devant un parterre de journalistes, d'ambassadeurs, d'avocats et de militants des droits de l'homme. L'orateur a tenté de mettre le doigt là où cela fait mal : les droits de l'homme et les libertés individuelles. Par rapport aux années précédentes, Me Ksentini a constaté une « nette amélioration » en matière des droits et des libertés. Mais il a évoqué « des freins puissants » qui subsistent encore. L'avocat a cité, entre autres, la bureaucratie et le dysfonctionnement quasi permanent et des cas d'instrumentation de l'appareil judiciaire, lequel appareil se trouve actuellement, selon lui, décrédibilisé par le pouvoir exécutif. Il a également parlé de cas de torture commis par des agents de l'Etat, de corruption qui, à ses yeux, engendre le favoritisme et l'injustice sociale... L'orateur a constaté, en outre, l'irrespect du principe de la présomption d'innocence en dépit, a-t-il dit, « de l'existence des textes de lois en la matière ». Pour parer à cette situation, Me Ksentini a proposé une série de recommandations. Il s'agit, en premier lieu, a-t-il suggéré, d'appliquer les conclusions de la réforme de la justice consignées dans le rapport élaboré par Me Mohand Issad. L'orateur a fait également d'autres suggestions pour améliorer la situation des libertés en Algérie. Il s'agit de la pratique syndicale, de la liberté d'expression...Abordant le volet lié à la presse, Me Ksentini a affirmé que « la liberté d'expression existe bien qu'elle soit émaillée par quelques incidents judiciaires ». Interrogé sur le cas de Mohamed Benchicou, directeur du quotidien Le Matin, incarcéré depuis le 14 juin 2004, l'orateur a répliqué que « le concerné a été poursuivi pour transfert illégal de capitaux ». « Certains disent que l'infraction existe, d'autres, en revanche, soutiennent le contraire », a-t-il affirmé. Néanmoins, il a expliqué, avec force détails, que certaines irrégularités ont émaillé cette procédure. Tout en se déclarant « optimiste » quant au dénouement de « l'affaire Benchicou », ce militant des droits de l'homme a « déploré », le fait qu'une personne mise sous contrôle judiciaire soit placée sous mandat de dépôt à l'issue d'une audience, d'autant que le verdict n'est pas définitif, puisqu'il est susceptible d'appel. A ce propos, Me Ksentini a remis sur le tapis la sempiternelle question de la détention provisoire. « Il y a un problème dans l'application de cette mesure », a-t-il estimé. C'est pourquoi, a-t-il précisé, « nous avons proposé sa suppression ». Parlant de l'état d'urgence, Me Ksentini a répondu que la priorité est la sécurité du citoyen. « Certains considèrent que l'état d'urgence est un obstacle pour les libertés. Je ne partage pas cet avis », a-t-il soutenu. Pour lui, « le terrorisme n'est pas complètement éradiqué pour demander la levée de cette mesure ». Dialogue avec les repentis Concernant l'épineux dossier des disparus, le président de la commission a rappelé que le président de la République a mis en place le 23 septembre 2003 un mécanisme ad hoc pour élucider ce dossier. Pour lui, il ne s'agit pas d'une commission d'enquête, mais d'une « formation » habilitée à tirer au clair les tenants et les aboutissants de cette affaire à travers, bien entendu, une série d'investigations et d'entretiens avec les familles des disparus. A qui incombe la responsabilité de ce drame ? « L'Etat est responsable, mais il n'est pas coupable », a-t-il estimé. Pour étayer ses dires, Me Ksentini a expliqué que « l'Algérie a connu une période de violence qui s'apparentait à une guerre civile ». « Si l'Etat n'a pas succombé aux coups de boutoir du terrorisme, il n'est pas indemne pour autant » L'orateur a par ailleurs mis en relief la nécessité de dire la vérité aux familles de disparus qui, selon lui, ont subi un préjudice qu'il faut réparer. Comme pour décocher des fléchettes sur les ONG internationales, Me Ksentini a clamé que « le dossier des disparus est un problème algéro-algérien ». Pour lui, il y a deux catégories de personnes disparues. Il y a d'abord les disparus du fait du terrorisme. « Ces personnes, dont la plupart se trouvent enterrées dans des fosses communes, seront identifiées grâce aux analyses génétiques ADN pour permettre à leurs familles de faire le deuil », a-t-il expliqué. Pour ce faire, les membres de la commission ad hoc ont initié des rencontres avec des repentis afin de trouver les charniers où ont ensevelis les corps des personnes assassinées par les terroristes. La seconde catégorie de disparus englobe, selon l'orateur, « des personnes qui, à en croire les dires de leurs familles, furent enlevées par les services de sécurité ». Ces personnes sont-elles réellement enlevées par des agents de l'Etat ? « Les institutions de la République en tant que telles sont hors de cause, mais il se pourrait que des agents de ces services y soient impliqués », a-t-il estimé. Selon lui, quels que soient les faits, la vérité doit être dite à leurs familles et une réparation matérielle sous forme d'aide sociale, s'impose