Mustapha Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme (CNCPPDH), a révélé hier au forum hebdomadaire d'El Moudjahid que le projet d'amnistie générale sera élaboré sous forme d'une loi. Etant convaincu que « le principe » de ce projet « n'a rien de contraire avec les droits de l'homme », l'avocat et défenseur des droits de l'homme a précisé : « L'amnistie ne peut procéder que d'une loi. » Pourquoi ? « Parce que le président de la République ne peut que gracier », lâchera-t-il sans donner plus de détails. A l'en croire, Me Ksentini ne sait sur ce projet que ce qui a été écrit et rapporté dans la presse. Cela étant, le conférencier dira avec autant d'affirmation et d'assurance : « L'amnistie générale est fondée sur une idée de l'oubli. Elle laisse intacts les droits de tiers, lesquels peuvent toujours porter leur action devant les juridictions civiles. Car un tel projet n'affectera en rien les droits des victimes. » Pour étayer ses propos, Me Ksentini a rappelé qu'en France « deux décrets datant du 22 mars 1962 ont amnistié les infractions commises par les Français en Algérie avant le 20 mars de la même année. Il est intervenu, deux ans plus tard, une loi portant la date du 23 décembre 1964 qui apporte l'amnistie de certaines catégories d'infractions commises en Algérie avant l'indépendance pour lutter contre l'insurrection ». Me Ksentini a estimé que l'amnistie générale est « une revendication légitime du peuple algérien qui veut vivre dans la paix et la stabilité », notant que « toutes les parties ont été invitées à donner leur avis sur ce projet ». Le conférencier n'a pas caché son vœu de voir « les choses aller le plus vite possible, non pas dans la précipitation, mais dans la sérénité ». Car, à ses yeux, « plus on ira vite en besogne, mieux les choses se porteront ». Me Ksentini se dit, au passage, réconforté de voir Ahmed Ben Bella « s'investir avec toute son autorité morale dans l'amnistie générale et la réconciliation nationale ». Mais qui bénéficiera de cette amnistie ? Les terroristes ? Uniquement eux ? Comme réponse, Me Ksentini se contentera d'émettre le vœu que cette loi sera élargie au « plus grand nombre de personnes possible » pour le bien de la paix et de la sécurité. Dans la foulée, le conférencier soulignera que le texte n'a pas encore été pondu, notant qu'il appartient au président de la République, initiateur du projet, d'en définir les contours. Les choses seront, selon lui, clarifiées à travers une loi qui sera promulguée prochainement, une fois l'amnistie générale approuvée par le peuple lors du référendum annoncé par le chef de l'Etat. Quant à la date de ce référendum, Me Ksentini n'en a pas la moindre idée. Revenant sur le lancinant dossier des disparus, Me Ksentini attestera encore une fois la responsabilité de l'Etat, tout en écartant sa culpabilité. Pourquoi ? A ses yeux, il peut y avoir la responsabilité de certains agents de l'Etat. Rapport sur les disparus Et cela n'implique pas l'Etat dans son ensemble. Me Ksentini a préféré parler plutôt de la responsabilité individuelle de chaque agent. Dans ce sillage, le conférencier a rassuré que le rapport « détaillé » de la commission ad hoc installée en 2001 sera transmis au président de la République avant « le 31 mars prochain ». Rapport qui permettra à la plus haute autorité du pays de prendre une décision qui aura certainement une coloration politique. « Certes, la vérité s'avère parfois difficile à cerner, mais cela n'empêche pas l'Etat algérien de faire de son mieux pour trouver une solution au problème des disparus sans pour autant céder au chantage », a-t-il précisé, estimant avoir fait de son mieux pour trouver une solution définitive à cette question qui traîne depuis des années. Evoquant les ONG internationales, qui ont émis le vœu de venir enquêter sur la situation des droits de l'homme en Algérie, Me Ksentini a soulevé la nécessité pour ces dernières de demander, d'abord, « des excuses à l'Etat et au peuple algériens pour tout le préjudice qu'elles leur ont causé dans leur traitement de la question du terrorisme en Algérie, notamment la fameuse question du ‘'qui tue qui ?'' ». Considérant la situation actuelle des droits de l'homme comme « moyenne », Me Ksentini a estimé que « l'Algérie est dans la bonne direction et finira par être reconnue dans les dix ans à venir comme Etat de droit ». Abordant l'épineux dossier des décisions de justice non exécutées, Me Ksentini a justifié cette situation par l'existence d'« un vide juridique » dans la législation en vigueur où l'Etat ne peut pas être forcé d'exécuter une décision de justice. « Il faut reconnaître que notre législation ne donne pas d'une manière réelle et concrète la possibilité d'exécuter une décision de justice », a-t-il attesté, souhaitant qu'il y ait le moyen de les exécuter « à l'amiable », avec le recours de l'administration au « bon sens ». Le conférencier évoquera, en outre, la détérioration des rapports entre le citoyen et l'administration qui a favorisé une telle situation. Selon lui, l'une « des revendications » de la commission qu'il préside est de « clarifier » ces rapports. Il est d'ailleurs nécessaire, à ses yeux, de revoir la nature de ces rapports : « II faut que l'administration apprenne à respecter les citoyens et vice versa. » Il s'agit là d'une « chose primordiale pour l'instauration d'un Etat de droit », a-t-il conclu. 200 condamnés à mort graciés L'Etat algérien semble décidé à abolir la peine de mort, mise au « frigo » depuis 1994. Me Ksentini a fait savoir jeudi dernier, au centre de presse d'El Moudjahid, qu'il y a une loi en préparation au niveau du ministère de la Justice qui a trait à la suppression de la peine capitale, qui, faut-il le préciser, est toujours prononcée par les tribunaux sans qu'elle soit exécutée depuis plus de 10 ans. Cela est qualifié par ce défenseur des droits de l'homme d'« avancée considérable ». Selon Me Ksentini, le président Bouteflika a « gracié », depuis son investiture à la magistrature du pays en 1999, « 200 condamnés à mort ». Autrement dit, le premier magistrat du pays a procédé en 2002, à travers un décret présidentiel qui a été publié dans le Journal officiel, à la commutation de 200 peines capitales. Ainsi, 200 condamnés à mort ont vu leur peine ramenée à des condamnations à perpétuité. Me Ksentini a regretté, cependant, que des décisions d'une telle envergure ne soient pas rendues publiques.