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Le parcours douloureux de Malika Rahal sur les pas de Ali Boumendjel
Publié dans El Watan le 25 - 01 - 2021

Dans la revue académique numérique Hypothèses, l'historienne Malka Rahal évoquait, le 16 août 2015, son travail alors en cours sur
Ali Boumendjel, avocat, militant du FLN, assassiné par les forces coloniales en 1957.
Dans la quatrième proposition du Rapport Stora sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie, rendu public mercredi dernier, figure le militant Ali Boumendjel : «La reconnaissance par la France de l'assassinat de Ali
Boumendjel, avocat, ami de René Capitant, dirigeant politique du nationalisme algérien, assassiné pendant la Bataille d'Algerde 1957.»
Dans un long billet publié en août 2015, sous le titre «La terrasse. Retour sur une histoire du temps présent», l'historienne Malika Rahal était revenue sur le saisissement du recueil d'informations sur le défunt avocat et ce qui l'animait dans son travail pour sa thèse(*).
Elle évoquait notamment l'avancée difficile dans son travail et ses tâtonnements dans le recueil de témoignages, alors que ceux qui auraient pu enrichir sa thèse n'étaient plus de ce monde et qu'elle imaginait les questions qu'elle leur aurait posées.
Ignorant alors que la mémoire de Boumendjel serait évoquée au plus haut de l'Etat au détour d'un rapport qui fera date, elle avait un temps d'avance, alors qu'elle éclaircissait douloureusement un parcours alors en friche. Voici un extrait de ce qu'écrivait Malika Rahal :
«L'écriture du mémoire a été longue : je soupesais et réécrivais toutes les phrases, je mesurais tous les adverbes. Boumendjel n'était pas un personnage central, il y avait peu de chance que d'autres biographies suivent après ce mémoire pour créer un débat d'interprétation. Il ne s'agissait pas de rendre justice, mais d'écrire juste au sujet d'un homme mort une cinquantaine d'années auparavant, d'écrire des phrases qui feraient autorité. Les incertitudes ne se réduisaient pas. Je fantasmais en faisant les cent pas dans ma cuisine : qu'on me donne cinq minutes pour parler à Ali Boumendjel ! (ou dix minutes, ou un quart d'heure), j'avais une liste de questions :
– Quel était votre relation avec Abane en 1956-1957 ? (déjà, cinq minutes ne pouvaient suffire).
– Qu'est-ce qui vous est arrivé après que les paras vous ont pris le 9 février 1957 ? On vous a torturé ? On vous a tué ?
– Durant la fronde dans l'UDMA des années 1950, vous étiez hostile à Ferhat Abbas ? Et à votre propre frère ?
Peut-être qu'on se tutoyait à l'époque ? Je ne sais plus. De toutes les façons, l'ordre des questions changeait tout le temps selon ce qui me semblait essentiel (était-ce vraiment essentiel de savoir comment il était mort ? comment il avait été torturé ? La question de Abane, elle, me paraissait toujours fondamentale). Si Boumendjel n'était pas disponible, j'imaginais toutes les certitudes que je gagnerais à parler cinq minutes seulement avec Abane Ramdane. Ou avec Kaddour Sator (...).» «Alors que je préparais le dernier chapitre du mémoire, tentant de reconstituer jour par jour le parcours de Boumendjel d'un centre de torture à l'autre, le général Bigeard était invité dans l'émission humoristique de fin de matinée sur France Inter. Arrivé à Alger après sa mort, Bigeard n'avait rien à voir avec Boumendjel, mais avait pris toute sa place dans le système répressif fondé sur la torture et l'assassinat, et il était le seul parachutiste à voir donné son nom à une façon de tuer les prisonniers (les ‘‘crevettes Bigeard''). Dans mon souvenir, l'animateur Stéphane Bern ne cessait de répéter : «Ce qu'on aime chez vous général...» (c'est votre truculence, votre humour, votre gentillesse, que sais-je). On était en 2003. En écoutant, je lisais des descriptions d'hommes asphyxiés dans les cuves à vin de la ferme Perrin et de la technique utilisée pour passer les mollets des survivants au rabot et au gros sel. Toute cette truculence me rendait malade. Et oui, j'avais envie de rendre justice, d'écrire un livre qui frappe Bigeard dans la gueule, étouffe Stéphane Bern et dise à la Radio nationale qu'elle était indigne et méprisable comme l'était la république coloniale. J'avais envie que Boumendjel, Larbi Ben M'hidi et Abane Ramdane, ces hommes qui manquent, soient des héros. J'étais, et je reste, violemment anticolonialiste. Ça n'aidait pas l'écriture.»
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