L'émotion était vive ce mardi à l'auditorium de l'Ecole supérieure de journalisme d'Alger où un vibrant hommage a été rendu au professeur Brahim Brahim, Ahmed pour les intimes. L'auteur de Le pouvoir, la presse et les intellectuels en Algérie, a formé des générations de journalistes. Son nom restera à jamais attaché au combat pour la liberté de la presse, pour la dignité du métier de journaliste et pour le droit à l'information. Brahim Brahimi. Rien qu'à l'évocation de ce nom, l'émotion nous submerge, et les souvenirs refluent, jaillissent à profusion, en compagnie de ce professeur hors pair qui aurait eu 75 ans ce lundi 1er février, et qui nous a quittés le 22 septembre 2018. L'émotion était palpable aussi dans le grand auditorium de l'Ecole nationale supérieure de journalisme et des Sciences de l'information d'Alger (ENSJSI), ce grand bâtiment à la forme de paquebot que l'on aperçoit sur la Rocade de Ben Aknoun. En souvenir de cet homme qui a formé des générations de journalistes, un hommage appuyé lui a été rendu hier par l'Université Alger 3. La cérémonie s'est déroulée en présence de son épouse, Mme Farida Benzidoun Brahimi, de membres de sa famille, ainsi que de nombreux amis, collègues, anciens étudiants, journalistes et autres compagnons de route. Devant le pupitre attenant à la tribune de l'auditorium, les témoignages fusent, saluant avec ferveur la mémoire de celui que tout le monde appelle simplement Ahmed, parangon de l'intellectuel engagé et de l'universitaire exigeant. Brahim Brahimi, un nom qui restera à jamais associé au combat pour la liberté de la presse, pour la dignité du métier de journaliste et pour le droit à l'information. C'est le recteur de l'université Alger 3, le professeur Mokhtar Mezrag, qui prend la parole en premier, soulignant que le professeur Brahimi «a consacré sa vie au service du savoir, encadrant des générations d'étudiants». «C'était un homme passionné, féru de connaissances. Il était également plein d'humilité», appuie-t-il. Et d'insister sur l'apport considérable du professeur Brahimi dans le champ spécifique du droit de l'information. «On ne peut pas parler de la liberté de la presse et du droit de l'information en Algérie sans citer Brahim Brahimi», résume-t-il. «Il était également un militant politique qui s'est voué à la défense de la liberté d'opinion et l'indépendance de la presse», a tenu à signaler le professeur Mezrag. La doyenne de la Faculté des sciences de l'information et de la communication Malika Atoui a insisté, pour sa part, sur l'importance de cette rencontre, ce geste qui représente, selon elle, un «passage de témoin entre les générations» et un acte de reconnaissance «envers les symboles de l'Université algérienne». «Il était mon enseignant durant mes études de magister et il est devenu un collègue. J'enseigne la même spécialité que lui, à savoir le droit de l'information et les législations des médias», confie le professeur Atoui. «Je suis fière d'avoir été son étudiante et je suis fière que le professeur Brahimi soit passé par là. Les hommes passent et leurs traces restent», conclut-elle. «Quand on parle de droit de l'information, il est incontournable» Le vénérable professeur Zoubir Chaouche-Ramdane, ancien recteur de l'Université de Tlemcen, précisera de son côté avoir connu Ahmed sur les bancs de la première Ecole de journalisme de la rue Jacques Cartier, à Alger-centre. «Ce que je peux dire, c'est que, quand on parle de droit de l'information, de liberté d'expression, d'éthique et de déontologie (de la presse), il est incontournable. Ses ouvrages, ses articles, font référence.» Sur les qualités humaines de l'homme, son tempérament, il dira : «Ahmed, c'est la modestie, c'est la disponibilité. C'est quelqu'un qui ne calcule jamais. Mayahssebche (...) Il était même capable de vous divulguer son salaire alors que personne ne révèle son salaire. Moi, je ne révélerais pas mon salaire. Il était connu pour sa franchise. Il n'avait pas de secrets.» Pour le professeur Abdesselam Benzaoui, directeur de l'ENSJSI, «Brahimi, c'est trente ans d'amitié. Il était mon professeur, mon collègue et mon ami». «Lorsque je préparais mon doctorat, il a été mon directeur de thèse, puis on est devenus collègues, et lorsqu'il a créé en 2009 l'Ecole supérieure de journalisme, il nous a demandé de le rejoindre», se remémore-t-il. Rebondissant sur le trait de caractère soufflé par son prédécesseur, le professeur Benzaoui rapporte cette anecdote édifiante : «Le professeur Chaouche-Ramdane a dit qu'Ahmed pouvait révéler son salaire, moi j'irai plus loin : Brahimi partageait son salaire. On touchait à une époque 4000 DA, et à la fin du mois, il venait te voir et te dit ‘‘Kech ma khessak ?'' S'il a 1000 DA en poche, il les partage avec toi. Brahimi, c'est l'humanisme, la générosité. C'était aussi quelqu'un de très spontané, trop même. Certains lui rappelaient son obligation de réserve (lorsqu'il était directeur de l'ENSJSI), il leur disait : ‘‘ma âla baliche bihoum''. Je dis ce que j'ai à dire.» Et de proposer pour finir l'organisation d'une journée d'étude sur le parcours académique du professeur Brahimi et ses travaux universitaires. «Nous avons beaucoup à apprendre de lui», martèle le directeur de l'ENSJSI. Notons par ailleurs cette annonce faite par la professeure Fatiha Maâtouk, directrice du Laboratoire de recherche sur l'usage et la réception des productions culturelles et médiatiques en Algérie. Ce Laboratoire va accueillir un programme de recherche basé entièrement sur les travaux du professeur Brahim Brahimi. Ce programme débutera le 3 mai 2021 à l'occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, a précisé Fatiha Maâtouk. Invitée à dire quelques mots, Farida Benzidoun Brahimi, a tenu tout d'abord à saluer les initiateurs de cette cérémonie. «Je remercie le recteur de l'université d'Alger 3, ainsi que la doyenne Malika Atoui, pour cet hommage», déclare Mme Brahimi, la gorge nouée, avant de poursuivre : «Je remercie également Redouane Boudjemaâ qui lui rendait visite alors qu'il était malade. Merci pour les fleurs et les fruits… » Profondément émue, Mme Brahimi a dû interrompre son intervention. Le recteur a ensuite honoré l'épouse et le frère du regretté professeur avant d'inviter les présents à assister à la baptisation d'un amphithéâtre situé au premier étage du bâtiment, du nom de Brahim Brahimi. Devant l'amphi en question, il y avait une plaque de marbre assortie d'une photographie en médaillon du professeur Brahimi et d'une note biographique. Celle-ci nous apprend que Brahim Brahimi «est né le 1er février 1946 à Bir Ghebalou, dans la wilaya de Bouira. Il a suivi ses études primaires dans sa ville natale. Puis, il a décroché son baccalauréat en 1965 alors qu'il était élève au lycée Emir Abdelkader à Alger. Il a rejoint ensuite l'Ecole supérieure de journalisme d'Alger où il a obtenu sa licence en 1968». Nous apprenons par ailleurs que M. Brahimi a été pendant une courte période, en 1968-1969, journaliste à la chaîne III. «Il a continué ses études en France où il a obtenu un diplôme à l'Institut Français de Presse (Paris 2) en 1971, et en 1972, il a commencé à enseigner à l'Ecole supérieure de journalisme (d'Alger, rue Jacques Cartier, ndlr)». Persévérant dans la voie de la recherche universitaire, «il a soutenu un doctorat de troisième cycle en sciences de l'information en 1975, et un doctorat d'Etat en sciences politiques en 1987». M. Brahimi enseigne à l'ISIC (l'Institut des sciences de l'information et de la communication d'Alger) jusqu'en 2008. Dans la foulée, «il a fondé et dirigé l'Ecole supérieure de journalisme et des sciences de l'information de la fin 2008 à 2013, année de sa démission de son poste comme directeur de l'Ecole. Il ne s'est jamais arrêté d'enseigner et de se consacrer à la recherche jusqu'à son départ à la retraite en 2016». La note biographique précise que «le regretté a laissé de nombreux ouvrages, parmi lesquels : Le pouvoir, la presse et les intellectuels en Algérie (1989) ; Le pouvoir, la presse et les droits de l'Homme en Algérie (1998) ; Le droit à l'information à l'épreuve du parti unique et de l'état d'urgence (2002). Brahim Brahimi a également de nombreux articles académiques à son actif. Un mot pour compléter, souligné par un de ses anciens étudiants : on avait proposé à M. Brahimi le poste de ministre de l'Information, il a refusé. Allah yerahmek Si Ahmed. Votre silhouette bienveillante et votre voix d'airain nous accompagneront longtemps encore… Advertisements