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«Le décryptage du monde du travail exige des outils de mesure les plus pertinents» Mohamed Saib Musette Sociologue, Directeur de Recherche CREADS- MESRS
-A la veille de la célébration de la Journée internationale du travail 1er mai, quel regard portez-vous sur l'impact de cette «année-Covid» sur le monde du travail ? Partout dans le monde, la Fête du travail sera marquée par deux sentiments : une grande tristesse avec les pertes (humaines, d'emplois, d'heures de travail et de revenus) enregistrées par la pandémie Covid-19 et un espoir né avec la découverte des vaccins. Selon les dernières estimations du BIT (janvier 2021), en 2020, on a enregistré des pertes d'emplois sans précédent au niveau mondial, atteignant 114 millions d'emplois si l'on compare à 2019. En termes relatifs, les pertes d'emplois ont été plus élevées chez les femmes (5,0 pour cent) que chez les hommes, et chez les jeunes travailleurs (8,7 pour cent), par rapport aux travailleurs plus âgés. Ces chiffres ne traduisent pas toutes les souffrances du monde du travail, fortement impacté non seulement par des pertes d'emplois, mais aussi par des pertes d'heures de travail et de revenus. La découverte des vaccins apporte un espoir pour une reprise progressive des activités selon les pays quoique des inégalités peuvent être observées quant à l'accès des pays et des populations. Entre ces deux sentiments, il est du devoir de tout un chacun de reconnaître ces travailleurs qui sont restés sur le front – tout le personnel de la santé, de la Protection civile et de la police – pour nous assurer un service permanent contre les effets de cette pandémie. Il y en a qui ont payé de leur vie pour nous sauver... on ne saura jamais les remercier... et ils sont toujours sur le font avec des nouveaux variants... -Taux de chômage, travailleurs précaires, informel, des statistiques crédibles sur ce qui entoure le monde du travail demeurent incertaines en Algérie. Pourquoi, à votre avis, y a-t-il tant d'opacité autour des questions qui touchent à l'emploi ? Le décryptage du monde du travail exige partout dans le monde des outils de mesure les plus pertinents et ce n'est pas toujours le cas, notamment dans les pays à statistiques imparfaites, comme l'Algérie. Notre système de collecte d'informations sur le marché du travail a connu une évolution ces vingt dernières années, mais il reste encore beaucoup de chemin à faire. Nous sommes passés d'une enquête à deux sondages par an. Nos pays voisins sont à quatre sondages par an. Puis, avec la Covid-19, nous serons obligés de réviser aussi le mode de sondage, passer à la saisie électronique directe des données, ce qui réduirait certainement le coût et la durée de traitement des données. Reste la question de l'analyse des données. L'ONS a une fonction surtout de production de données. Les données produites sont traitées pour répondre surtout aux exigences internationales. L'analyse reste sommaire. Dans son programme, le gouvernement a formulé le vœu d'aller vers l'Open Data. Il y a ainsi de l'espoir que nos chercheurs et experts auront un accès direct aux micro-données des sondages pour entreprendre des analyses approfondies. Ces données stockées, non exploitées de manière approfondie, constituent une perte sèche pour le pays, un gaspillage de ressources qui pourraient être valorisées. C'est pour cette raison qu'on a cette impression d'opacité des données. Quant à la connaissance du travail précaire ou encore de l'économie informelle, il est regrettable qu'à ce jour, l'Algérie n'ait pas mené une enquête nationale, les analyses produites sur ces questions restent ainsi limitées. -Au regard de la situation économique du pays qui demeure incertaine, quelles sont les perspectives sur le marché de l'emploi pour les prochains mois ? L'Algérie traverse depuis quelques années une crise multiforme (politique, économique, sociale). La situation économique connaissait déjà des difficultés financières depuis 2014 avec la chute du prix de pétrole. La pandémie de la Covid a produit aussi une panne économique, comme partout dans le monde. Ces deux éléments ont un impact négatif sur l'emploi, le taux du chômage a déjà pris l'ascenseur. La reprise sera modeste à court terme mais nous ne sommes pas sortis de la zone d'incertitudes. Le chômage frappera surtout les jeunes, les primo-demandeurs. Les diplômés, les filles en particulier, sont les plus touchés, encore une autre perte pour le pays. Il est attendu la mise en œuvre d'une nouvelle politique de l'emploi qui reposerait sur les politiques actives pour rompre avec la gestion sociale du chômage. Nul besoin de réaliser un bilan, l'échec des dispositifs mis en œuvre est patent. Nous sommes en face d'un double défi. D'une part, redémarrer l'appareil économique, tombé en panne durant la pandémie, et d'autre part, engager une politique pro-emploi pour absorber au maximum les nouveaux diplômés universitaires, notamment des docteurs au chômage, sachant que nos services et nos entreprises sont sous encadrés. Propos recueillis par Nadjia Bouaricha Advertisements