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Une portée historique pour le renforcement de l'intégration maghrébine dans le cadre euro-méditerranéen L'accord d'Association de l'Algérie avec l'Europe
L'accord d'association : un événement historique depuis l'indépendance politique Je pense fermement depuis de longues années que l'accord d'association qui est entré en application le 1er septembre 2005 pour une zone de libre-échange entre l'Algérie et l'Europe est une chance pour notre pays et le premier événement historique de l'Algérie indépendante pour entrer dans l'économie libérale à finalité sociale. J'ai eu par le passé à développer cette analyse à l'invitation de notre ministère des Affaires étrangères devant le corps diplomatique accrédité à Alger ainsi qu'au moment de la fondation de l'Association Europe-Afrique à l'Unesco (Paris) qui a vu la présence de nombreuses personnalités, dont le président actuel sud-africain (1). Car au moment de la consolidation des grands ensembles, il serait utopique d'analyser cette portée sous l'angle de l'Etat-nation. En effet, la portée est historique pour le renforcement de l'intégration maghrébine dans le cadre euro-méditerranéen afin de construire ensemble la démocratie, le développement et l'économie de marché concurrentielle qui constitue le fondement. C'est que l'accélération des réformes économiques conciliant efficacité économique et cohésion sociale, la démocratisation du Tiers-Monde et une coopération (et non une aide), plus intense avec l'Occident pour une plus grande moralisation de la gestion de la cité (qualifié de bonne gouvernance), sont les pistes à explorer pour éviter ce dualisme Nord-Sud préjudiciable à l'avenir de l'humanité. La symbiose des apports de l'Orient et de l'Occident, le dialogue des cultures et la tolérance sont sources d'enrichissement mutuel. Il est dangereux pour le Nord de s'enfermer dans un ghetto qui enfanterait inéluctablement la violence. Les derniers événements devraient encore mieux nous faire réfléchir pour éviter cette confrontation des religions. Car autant l'Islam, le christianisme ou le judaïsme ont contribué fortement à l'épanouissement des civilisations, à cette tolérance en condamnant toute forme d'extrémisme, la mondialisation est un bienfait pour l'humanité à condition d'intégrer les rapports sociaux et ne pas la circonscrire uniquement aux rapports marchands en synchronisant la sphère réelle et la sphère monétaire, la dynamique économique et la dynamique sociale. Au moment de la consolidation des grands ensembles, enjeux de la mondialisation, je suis persuadé du nécessaire rapprochement entre l'ensemble des pays du Maghreb arabe, d'une intensification de la coopération à la mesure du poids de l'histoire qui nous relie et d'une manière générale avec l'Union européenne. Les accords de la Tunisie, du Maroc et de l'Algérie pour une zone de libre-échange avec l'Europe entrent dans ce cadre d'adaptation à ce monde interdépendant en perpétuel mouvement. Il appartient aux Maghrébins , notamment les hommes de culture et aux politiques de dépassionner les relations. Car il faut rappeler que les nouvelles relations internationales se fondent essentiellement sur des réseaux et organisations décentralisés à travers l'implication des entreprises et de la société civile. La coopération horizon 2005/2010 dépassera le cadre juridique de deux ou trois pays. C'est pourquoi nous centrerons notre analyse en deux parties : la situation des économies maghrébines et le nécessaire renforcement de la coopération entre le Maghreb et l'Europe au sein de l'espace euro-méditerranéen. 1 La situation des économies maghrébines Le Maghreb a un poids économique insignifiant au sein du commerce mondial et même les échanges intramaghrébins sont dérisoires. Alors que l'Europe du Sud (Italie, France, Grèce, Espagne) totalise 168 millions d'habitants (vers 2010), l'Algérie, le Maroc et la Tunisie compteront 94 millions d'habitants, soit un total de 262 millions d'âmes. Si l'on inclut les riverains méditerranéens, tels que la Syrie, le Liban, Israël, l'Egypte, Malte, la Turquie, l'Albanie, la Libye et l'ex-Yougoslavie, dont la stabilité conditionne le développement de l'ensemble des Balkans, nous aurons une population en 2010 qui dépassera les 500 millions. Cette région est frappée actuellement par une récession économique avec un écart croissant, les pays de l'UMA ayant un revenu PNB par tête qui représente moins de 15 % de ceux de la CEE. Cette récession s'explique par différents facteurs, dont le manque d'homogénéisation économique pour des raisons essentiellement historiques et sociologiques et qui fait fuir les capitaux vers d'autres cieux plus propices à un moment où la concentration des échanges est dans le Nord, la Chine accaparant plus de 50% pour la zone Sud. Mais la raison essentielle est le retard pris dans les réformes microéconomiques et institutionnelles bien que certains pays du Maghreb ayant largement réussi la stabilisation du cadre macroéconomique. Car les entreprises publiques sont fortement dominantes et imbriquées dans le système administratif, lieu de relation des clientèles. Leur gestion est défectueuse, croulant sous le poids des dettes, et à l'origine de l'essentiel du déficit budgétaire et du niveau élevé de la dette publique. Quant à certaines entreprises privées, elles ne sont pas autonomes mais trouvent leur prospérité ou leur déclin dans la part des avantages financiers, fiscaux, leurs parts de marché auprès des entreprises publiques et des administrations. Car les entreprises publiques sont fortement dominantes et imbriquées dans le système administratif, lieu de relation des clientèles avec une organisation spécifique où l'autonomisation de la décision économique est faible, expliquant la dominance de la sphère informelle, le peu d'esprit d'entreprise, certaines forces sociales rentières sous-traitant ce secteur, vivant du transfert de la rente, exercent des pressions pour accroître le protectionnisme néfaste à terme et sont peu enclins à la concurrence internationale. Or, pour le cas Algérie, l'assainissement des entreprises publiques a coûté au Trésor public plus de 36 milliards de dollars US entre 1991/2004, et si le démantèlement tarifaire qui sera progressif occasionne une perte de 1,6 milliard de dollars US, (mais profitable aux consommateurs qui verront une baisse des prix de certains produits, tout en incitant nos entreprises à la compétitivité et à l'amélioration de la qualité), le flux d'investissement hors hydrocarbures nécessaire pour atteindre un taux de croissance souhaitable de 7/8% entre 2005-2010 est de l'ordre de 8 à 10 milliards de dollars US/an. Mais il faut reconnaître que depuis quelque temps avec la formation plus élevée, et l'ouverture sur l'extérieur, nous assistons à la naissance de nouvelles entreprises mues par de véritables entreprenants. Pourtant, les pressions administratives, combinées avec l'absence de motivation, ne leur permettent pas la créativité et l'imagination. Ainsi, la seule sphère réellement autonome vis-à-vis des sphères du pouvoir est la sphère marchande ou industrielle informelle. Du point de vue des relations maghrébines, cela explique qu'au lieu que l'intégration soit dominée par des économies contractuelles ou organisées, nous assistons à une dynamique informelle caractérisée par une identité culturelle qui permet à des milliers de Maghrébins, surtout aux frontières, de contourner la myopie des bureaucraties nationales. La raison essentielle trouve un fondement socio-historique qui rend d'actualité les analyses ibn-khaldouniennes avec le poids du politique dans les sociétés maghrébines accentué par des structures familiales et tribales qui se consolident en période de récession économique. Il s'agira impérativement d'intégrer cette sphère dominante au niveau du Maghreb par la délivrance des titres de propriété devenant citoyenne, car acquise aux réformes pouvant constituer une force sociale dynamisante. L'accord d'association constitue, à cet effet, outre l'exigence d'une bonne gouvernance, l'intégration nécessaire de cette sphère, dont l'extension (effet de la bureaucratie) pose problème actuellement pour notre adhésion à l'OMC. Dès lors, s'impose la nécessité d'une véritable révolution culturelle pour inculquer l'esprit d'entreprise et libérer l'ensemble des énergies créatrices. Au niveau des pays du Maghreb notamment, cela passe par la création d'une monnaie maghrébine. La coordination des politiques commerciales, fiscales, douanières, des banques centrales est un objectif vital et il serait souhaitable la mise sur place d'une banque centrale maghrébine qui serait un maillon du système européen des banques centrales afin de favoriser la création de la zone de libre-échange Europe-Maghreb et accélérer la convertibilité intégrale des monnaies, ce qui dynamiserait les échanges. Cette action aura comme support une institution financière méditerranéenne, à l'instar de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement actuellement orientée vers les pays de l'Est. Cette banque pourrait être scindée en deux compartiments en privilégiant des relations avec le Fonds monétaire international, ainsi que les structures de la Communauté économique européenne. Le premier compartiment fonctionnerait comme une banque normale qui se finance sur le marché international accordant des prêts aux taux du marché. Le deuxième compartiment grâce à des dons et à des crédits d'aide (aligné sur le taux d'inflation du G7) avec une période de grâce de 5 ans et une période d'amortissement entre 15 et 20 ans financerait des projets de développement, notamment la formation professionnelle, favorisant l'émergence de managers, d'« entreprenants » par une adaptation technologique et des systèmes modernes de gestion ainsi que de projets importants aidant à la construction du réseau de l'espace économique méditerranéen par des sous-réseaux imbriqués, dont les PMI-PME, le transport, les télécommunications par la promotion des nouvelles technologies, en sont la pierre angulaire. 2 Les relations futures concerneront entre 2005-2010 l'espace Europe-Maghreb et, plus globalement, l'espace euroméditerranéen Je pense fermement et après analyse que l'intensification de la coopération entre l'Europe et le Maghreb, fondée sur un véritable codéveloppement, le partenariat, l'introduction de l'investissement direct, permettrait de bouleverser ces comportements et les inscrire dans une perspective dynamique profitable aux populations de la région et faire du bassin méditerranéen un lac de paix et de prospérité. C'est que l'espace méditerranéen peut être ce lieu de création de réseaux rationnels. L'économie de marché concurrentielle répond à des lois universelles, mais il existe des spécificités sociales nationales, dont il convient de tenir compte, car sources d'enrichissement mutuel permettant de communiquer avec des cultures lointaines et favorisant la symbiose des apports de l'Orient et de l'Occident. Ce réseau doit favoriser les liens communicationnels, les ères de liberté dans la mesure où les excès du volontarisme collectif inhibent tout esprit de créativité. Il y a lieu d'accorder une attention particulière à l'action éducative car l'homme pensant et créateur devra être à l'avenir le bénéficiaire et l'acteur principal du processus de développement. C'est pourquoi je préconise la création d'une université euro-maghrébine, ainsi qu'un centre culturel de la jeunesse méditerranéenne comme moyen de fécondation réciproque des cultures, et la concrétisation du dialogue soutenu pour éviter les préjugés et les conflits sources de tensions inutiles. Les différents programmes, initiés par la CEE comme Med Campus, Med Meda, Med Invest Avicenne, devraient favoriser l'émergence de nouveaux comportements pour un devenir solidaire. C'est que le Maghreb et l'Europe sont deux régions géographiques présentant une expérience millénaire d'ouverture sur la latinité et le monde arabe avec des liens naturels et, dans son ensemble, porte de culture et d'influences anglo-saxonnes. Economiquement, l'Europe et le Maghreb présentent des atouts et des potentialités pour la promotion d'activités diverses et cette expérience peut être un exemple de ce partenariat global devenant l'axe privilégié du rééquilibrage du sud de l'Europe par l'amplification et le resserrement des liens et des échanges sous différentes formes. Il est indispensable que l'Europe développe toutes les actions qui peuvent être mises en œuvre pour réaliser des équilibres souhaitables à l'intérieur de cet ensemble. En fait, la constitution d'espaces régionaux économiques faibles est une étape d'adaptation structurelle au sein de l'économie mondialisée, afin de favoriser un quadruple objectif solidaire, soit la démocratie politique, une économie de marché concurrentielle et à base de concertation sociale, les débats contradictoires d'idées par des actions sociales et culturelles pour combattre l'extrémisme et le racisme, et la mise en œuvre d'affaires communes n'oubliant jamais que les entreprises sont mues par la seule logique du profit. Dans la pratique des affaires, il n'y a pas de sentiments. Dans ce cadre, l'émigration maghrébine, ciment des liens culturels, peut être la pierre angulaire de la consolidation de cette coopération. C'est un élément essentiel de ce rapprochement du fait qu'elle recèle d'importantes potentialités économiques et financières. Car la promotion des relations entre le Maghreb et sa communauté émigrée doit mobiliser, à divers stades d'intervention, l'initiative de l'ensemble des parties concernées, à savoir le gouvernement, les missions diplomatiques, les entrepreneurs, les commerçants et les compétences individuelles. L'engagement implicite, caractérisant les relations entre nos communautés émigrées et les pays d'origine, ne doit pas occulter les légitimes intérêts strictement économiques des parties concernées pour garantir la rentabilité et la pérennité des opérations engagées. Les pouvoirs exécutifs devraient veiller, dans le cadre organisationnel et législatif, à alléger l'ensemble des procédures administratives, afin de favoriser la promotion de l'investissement et les échanges commerciaux, à l'instar des pays qui utilisent leurs compétences nationales localisées à l'étranger comme point d'appui au développement national. Cela permettrait par des actions concrètes de promouvoir la synergie de systèmes privés, politiques et administratifs, pour développer une approche « coopération » avec l'Europe qui pourrait être mieux perçue par l'interlocuteur maghrébin qu'une approche purement commerciale. Conclusion Entreprendre ensemble Les relations entre les pays du Maghreb sont souvent passionnées pour des raisons historiques. Mais avec de nombreux intellectuels, entrepreneurs et hommes politiques maghrébins, soucieux de concilier la modernité et notre authenticité, je suis convaincu du fait de la densité de nos rapports culturels qu'elles seront transgressées dans le cadre des intérêts bien compris de chaque nation. L'accélération des réformes économiques, sociales, culturelles (le droit à la différence) et politiques inséparable de l'instauration de l'économie de marché humanisée basée sur la concertation sociale, de l'instauration de la démocratie, du respect du droit de l'homme et de la promotion de la condition féminine conditionnent largement la réussite de cette grande entreprise qui interpelle notre conscience maghrébine et plus globalement méditerranéenne. Aux tensions et aux conflits doivent se substituer une coopération et un dialogue soutenu pour éviter des factures douloureuses. Le Maghreb doit être un véritable espace économique, un relais puissant entre l'Europe, le Moyen-Orient et l'Afrique, un lieu de brassage des cultures, la culture étant entendue comme processus historique et relationnel. Car, il est suicidaire pour chaque pays du Maghreb de faire cavalier seul à l'heure des importantes mutations mondiales. Le repli sur soi serait préjudiciable à notre prospérité commune et engendrerait d'inéluctables tensions sociales. L'histoire commune nous impose d'entreprendre ensemble. Car comme le dit l'adage arabe avec une profonde philosophie, « une seule main ne peut applaudir ». C'est le modeste message de cette contribution à la fois à nos dirigeants maghrébins et à nos entrepreneurs inquiets de l'ouverture nécessaire sur le monde. Renvoi 1) Réformes et place de l'Algérie et du Maghreb dans la stratégie euro-méditerranéenne (recueil des Conférences diplomatiques, volume IV 1er semestre 1995, ministère des Affaires étrangères). Cette intervention au siège du ministère des Affaires étrangères a fait l'objet d'un exposé du même auteur au niveau du colloque mondial tenu à l'Unesco (Paris-France) à l'occasion de la fondation de l'association Afrique-Europe, en 1995.