En dépit de la richesse de la formation universitaire dans certaines facultés qui peuvent beaucoup apporter au secteur économique, ce dernier reste toujours en retard par rapport à plusieurs approches et théories, qui ont été déjà enseignées, il y a des années en Algérie. Prenons à titre d'exemple le cas de la spécialité «gestion durable des déchets en milieu urbain», à l'université Salah Boubnider Constantine 3. Un secteur qui demeure très fertile en l'absence de nouvelles techniques de tri et de récupération des déchets ménagers, particulièrement dans la wilaya de Constantine. Dans ce contexte, les deux étudiants, Souheila Anab de la promotion 2019, et Badreddine Hamada de la promotion 2020, diplômés en master de ladite spécialité ont réalisé des études expérimentales sur le processus du compostage, avant de jumeler leurs efforts et les proposer aux autorités locales. Dans leur expérience, ils ont produit des engrais 100% bio à partir des déchets ménagers organiques. «Notre expérience consiste à faire des compostages à partir des déchets verts et organiques de la cuisine. Ce compostage à 50% déchets verts et 50% organiques se fait sur trois étapes primordiales : la phase mésophile, thermophile et le refroidissement. D'autant plus, il faut séparer ces déchets organiques du reste des ordures telles que le plastique pour éviter la réactivité entre ces substances et la provocation du jus toxique, connu par le lixiviat», a expliqué Badreddine Hamada. Et de poursuivre que ce projet pourra être généralisé dans toute la wilaya et apporter beaucoup d'argent, surtout que les déchets organiques sont jetés en énormes quantités par les établissements publics, les entreprises et les hôtels, sans oublier les déchets verts collectés après le désherbage. Abordant le volet économie, notre interlocuteur a expliqué que dans leur travail de recherche, ils ont consacré un chapitre pour la rentabilité de ce projet. «Ce compostage ne nécessite pas une grande industrie. Il suffit d'un terrain et des machines qui coûtent entre 60 millions jusqu'à 1 milliard de centimes, ou plus selon leur capacité. Par exemple, une machine peut traiter 25 000 m3 par heure. Mais au fil des années, ce projet permettra une rentabilité financière très satisfaisante. On peut vendre au minimum le 1 kg à 200 DA, il suffit juste de maîtriser les quatre paramètres, surtout celui de la fermentation, et la manipulation des appareils», dira-t-il. Une richesse perdue Etant donné que ces déchets organiques et verts ne sont pas récupérés et transformés pour des projets environnementaux, quel est donc leur sort ? Avec beaucoup de regret, Badredine Hamada affirme qu'ils sont brûlés annuellement. En traduisant ses propos en chiffres, le jeune universitaire avance un chiffre de 50 000 m3 (soit l'équivalent de 5000 tonnes) de déchets verts collectés annuellement par les EPIC dans la wilaya de Constantine. Il y avait, selon ses dires, toute une montagne de ce genre de déchet dans un terrain considéré comme une décharge non loin de l'université Constantine 3. Malheureusement elle a été brûlée, il y a quelques mois, au lieu d'être récupérée. Pour lui c'est une énorme richesse perdue. Quid des autres déchets organiques collectés à Constantine ? En réponse à notre question, Badreddine déclare que l'agence nationale des déchets avait mené une campagne de sensibilisation en 2018. Le but était aussi de faire le tri des déchets constantinois, où ils ont constaté que les détritus organiques représentent 54% du global collecté. Le plastique atteint le pourcentage de 7% et les couches pour bébés entre 7 et 9%. Comment se fait-il qu'en dépit des moyens mis à la disposition des institutions publiques, ce genre de compostage n'était pas assez connu durant toutes ces années ? Ce n'est pas tout, ce jeune de 25 ans n'a pas manqué d'exprimer son regret, en avouant qu'en réalité cette étude expérimentale n'est pas vraiment nouvelle, vu qu'elle est enseignée et pratiquée au sein de l'Institut de la nutrition, de l'alimentation et des technologies agroalimentaires (Inataa) depuis des années. Elle est déjà appliquée, d'après ses propos, à Oran, Mostaganem, Alger et Batna. Et Constantine, cette grande wilaya et capitale de l'Est ? Beaucoup de contraintes Malgré les compétences et la diversité de la formation universitaire, le secteur de la recherche scientifique se révèle chaque jour déconnecté du domaine économique. Pourtant, plusieurs conventions ont été signées récemment entre les universités et les différentes entreprises pour un véritable échange fructueux. Mais la réticence et la claustration de certains responsables se sont interposées entre ces jeunes ambitieux et leurs rêves. Fraîchement lancés dans le secteur économique, Souheila et Badreddine n'ont pas encore trouvé un terrain d'atterrissage pour situer leur projet, en dépit de la virginité de ce domaine dans la wilaya de Constantine. Notre question sur les obstacles rencontrés a provoqué le fou rire conjugué à la déception de nos interlocuteurs. Souheila Anab nous a fait savoir que leur expérimentation a vu le jour dans l'action «Hayi yafriz» (Mon quartier fait le tri) lancée dans le cadre du programme CAPDEL dans la commune d'El Khroub. «Nous étions accompagnés dans une formation d'entrepreneuriat par l'association des directeurs, gestionnaires et encadreurs des activités éducatives et de la formation pour la promotion des jeunes de la wilaya de Constantine, dans le cadre toujours de Capdel. Nous avons beaucoup appris, avant de se diriger vers le CET de Constantine et proposer ce projet en tant que partenaires, puis nous avons saisi les EPIC. Mais en vain. A la fin, nous nous sommes orientés vers la direction de l'environnement, où le directeur nous a demandé de tout refaire et si le projet se révèle rentable, il nous aidera. Avec la pandémie et la situation actuelle, aucun avancement n'a été signalé. C'est le silence total», a-t-elle indiqué. Badreddine renchérit qu'ils ont été ballottés d'une administration à une autre et tous les EPIC ou entreprises activant dans ce domaine vierge. Sachant, affirme-t-il, qu'ils ont constaté que ces établissements manquaient de techniques et de connaissances sur la gestion de ces fractions organiques. Ils ont refusé de les recruter ou d'adopter leur idée. Même lors du lancement de cette expérimentation, les autorités ont mis à leur disposition un terrain, considéré comme une décharge, dépourvu d'eau, d'électricité et des moindres commodités. De surcroît, les difficultés sus-mentionnées, la disponibilité et la maintenance du matériel aussi posaient un sérieux problème. Tous ces EPIC s'approvisionnent d'un seul fournisseur à Blida. Mais le problème qui a empêché le lancement du projet est la disponibilité du terrain. «Il y a une professeure à l'université qui a terminé sa thèse dans ce sens et a voulu lancer son projet avec un autofinancement. Malheureusement, jusqu'à l'heure actuelle, elle n'a rien pu le faire ou obtenir l'agrément faute du terrain», a-t-il conclu. C'est tellement désolant de voir qu'une si importante wilaya, Constantine, demeure en retard dans ce domaine malgré la richesse de ses moyens et ses universités. N'est-il pas temps pour les autorités de se lancer dans ce domaine si vierge ? Advertisements