L'adieu de Nime a tiré sur une corde sensible. La story publiée par le talentueux bédéiste à son arrivée en terre d'exil a provoqué un séisme émotionnel chez de nombreux Algériens, qui ont quasi unanimement approuvé ce départ tout en exprimant, pêle-mêle, colère, frustration et désir de faire de même. Dans les yeux larmoyants du personnage de la story, autoportrait de Nime, se déroule la tragédie du déchirement, entre le traumatisme du départ forcé et les promesses de lendemains meilleurs sous des cieux plus cléments, plus libres. Triste chapitre du roman national où il s'agit d'arrestations, de perquisitions, de condamnations et de mises sous écrou des voix discordantes, coupables de liberté et de rêves. Pour avoir dessiné des situations politiques, Nime a été condamné, en décembre 2019, pour «atteinte au moral de l'armée» et «atteinte à l'intégrité du territoire». En prison, il n'était pas à sa place. C'était d'une injustice révoltante. Une expérience traumatisante en tout cas pour lui, et on l'a vu ranger ses crayons, suprême blessure pour un artiste, sous la contrainte d'une condamnation à une année de prison dont il a purgé un mois. Avec cette condamnation, le pouvoir politique, qui s'était lancé l'été précédent dans la répression du hirak, sifflait la fin de la partie pour les artistes ayant rejoint le mouvement populaire. «La liberté d'expression n'existe plus et Big Brother vous regarde.» D'autres artistes seront la cible de la répression et du bâillon. Quand ce n'est pas le ministère de la Vérité qui envoie des avertissements ou lance des excommunications, c'est la police qui se charge de la besogne. Il y a une semaine, un comédien a été interrogé, dès sa descente des planches du théâtre, par des policiers qui avaient décelé des connotations politiques dans son jeu et dans ses mots ! Le verre est plein et beaucoup d'artistes ont saisi l'épisode Nime pour exprimer l'étouffement dont ils souffrent et la volonté de s'exiler, la mort dans l'âme. Nime a noirci ses planches à l'encre de la vérité et du spleen national. Des millions de ses compatriotes ont vibré au sort de l'emblème national qui retrouve ses couleurs loin de l'hiver algérien. Les artistes davantage. Dans les années 1990, l'élite formée postindépendance avait été ciblée par les GIA qui imposaient le choix entre la valise ou le cercueil. Les massacres d'intellectuels lancés en mars 1993 ont poussé à l'exode massif la sève de l'Algérie qui ne reviendra pas en dépit de la défaite du terrorisme islamiste. Des épisodes migratoires encore plus saignants ont été signalés au plus haut du bouteflikisme autoritaire, et tous les indicateurs annoncent un nouveau pic de départs massifs, au risque d'anéantir la nation Advertisements