A Oued Mitar, à Bou Saâda, dans la wilaya de M'sila, trois personnes ont disparu suite à des pluies orageuses et sept autres ont été secourues dans plusieurs autres communes. Les pluies du mois de septembre commencent à faire des dégâts. Si ces dernières sont souvent dues aux quantités exceptionnelles de précipitations tombées, les causes sont aussi à chercher du côté des sols qui n'arrivent plus à retenir l'eau.
La relation entre la profondeur du sol, le couvert végétal et la pluviométrie est établie», assure Saci Belgat, enseignant chercheur à la faculté d'agronomie de Mostaganem. Selon lui, en Algérie, la perte moyenne de sédiments/an est supérieure à 120 millions de tonnes. «En fait, l'Algérie perd en moyenne 1 cm de sol/an, soit un siècle de pédogenèse ou de formation des sols», explique-t-il. Précisant que le trait de cette tendance à la perte de sols et par conséquent de la perméabilité est gravement accentué par un aménagement et une politique d'occupation de l'espace pour le moins hasardeuse. Et c'est justement dans la bande littorale (1,7 % du territoire) qui borde la Méditerranée que se concentre près de 40 % de la population algérienne (434,86 hab./km2), occasionnant les plus gros dommages et risques d'inondations. Le reste du territoire est, quant à lui, sous aménagé. La réaffectation des terrains agricoles au profit de terrains urbanisables constituerait donc un paramètre déclencheur des inondations. Mais comment ? Il faut savoir que les terrains agricoles sont généralement constitués de formations naturelles qui ont tendance à absorber davantage les pluies et réguler les ruissellements en période pluvieuse. L'eau s'infiltre alors en profondeur dans le sol et régule ainsi le ruissellement en le diminuant par la flore des versants, contrairement aux zones urbaines où le coefficient de ruissellement est très fort, avec des capacités d'évacuation limitées par les constructions souvent anarchiques, par le manque d'entretien des réseaux. D'ailleurs, M. Saci Belgat assure que l'Algérie a perdu entre 1962 et 1994 par l'urbanisation ou la bétonisation du littoral, plus de 200 000 ha de terres agricoles des plus fertiles. Selon lui, la bétonisation empêche l'eau de s'infiltrer et de recharger les nappes alluvionnaires. Cette eau s'exécute de l'amont des bassins versants (impluviums), inonde les terres alluviales et cause des dégâts aux habitations et aux infrastructures en aval. «Rarement, y compris dans les pays méditerranéens, les bassins versants, c'est-à-dire les espaces de partage des eaux, ne sont urbanisés. Mais en Algérie, c'est une tendance qui s'accélère, notamment en Kabylie et sur tout le littoral oriental», se désole-t-il. De son côté, Najet Aroua, architecte-urbaniste, spécialiste en urbanisme et environnement, estime qu'il est nécessaire de rappeler que l'eau de pluie qui arrive au sol peut emprunter deux types de parcours. Le premier est souterrain, sous forme d'infiltration pour rejoindre la nappe. Le second est en surface, sous forme de ruissellement pour rejoindre son exutoire naturel qui peut être la mer, une rivière ou un lac. Dans les deux cas, la spécialiste assure que les arbres, la végétation en général, absorbe et en retient une partie. Selon elle, l'eau excédentaire, qui n'est pas retenue sur place, se répand à travers les terrains environnants. «Dans un terrain plat, c'est-à-dire en plaine, elle peut alors faire monter le niveau de l'eau des oueds et des nappes phréatiques. Dans un site à relief accidenté, elle dévale la pente sous forme de ruissellements torrentiels avec une vitesse et un débit variables suivant le volume des précipitations, la nature du sol et sa couverture végétale», explique-t-elle. Imperméabilisation des sols Il s'agit là, selon Mme Najet Aroua, de phénomènes naturels, imprévisibles et non contrôlables, qui font partie du cycle global de l'eau. A titre d'exemple, les crues considérées comme risque majeur, sont nécessaires au renouvellement des cours d'eau et à la fertilisation des sols. Finalement, l'inondation survient quand l'eau est déviée de son parcours naturel. «Cela se produit lorsque le sol est imperméabilisé par un revêtement totalement étanche qui empêche l'eau de s'infiltrer dans le sol, ou bien lorsque des constructions entravent son écoulement en surface», ajoute-elle. En milieu urbain, Mme Aroua assure que c'est le réseau d'assainissement qui reçoit et draine l'eau excédentaire qui n'est pas retenue par les espaces verts et les déversoirs d'orage. Lorsque le volume et le débit de cette eau sont très élevés, le réseau d'assainissement peut déborder et submerger les rues et les bâtiments. Les pratiques agricoles intensives ne sont pas en reste de tout ça. Elles peuvent, elles aussi, entraîner une imperméabilisation des sols. En effet, le phénomène de l'induration des sols ou du tassement des sols est, selon M. Saci Belgat intrinsèquement lié à la nature physique des sols, aux pratiques agricoles et au modèle de production agricole. A cet effet, l'expert explique que nos sols sont majoritairement calcaires, peu pourvus en matière organique et peu profonds. Par conséquent, ils sont extrêmement sensibles aux pratiques agricoles, à la dégradation de la structure par tassement et formations à terme de croûtes de moins en moins exploitées par les racines. «Et c'est justement l'agriculture intensive ou minière, qui a d'avantage recours à un matériel agricole de plus en plus lourd et puissant et à plusieurs pratiques agricoles qui aggrave cette tendance. Les passages répétés de labours et de pseudo-labours avec un matériel lourd et puissant sur des sols fragiles causent un tassement et une imperméabilisation des sols», explique-t-il. Entre 2001 et 2021, avec les privatisations et les concessions de terres, cette agriculture est devenue, selon M. Saci Belgat, majoritaire. Elle est en passe de marginaliser l'agriculture paysanne, celle qui se fait en harmonie avec le milieu et protège les écosystèmes. L'inondation en milieu urbain est donc, selon Mme Aroua, un phénomène complexe qui dépend à la fois de facteurs naturels, tels que le climat, l'hydrographie, la géomorphologie, et de facteurs humains essentiellement urbanistiques et techniques tels que par exemple le tracé de la voirie, la forme et le type de revêtement de la chaussée ainsi que la capacité de charge du réseau d'assainissement. Et la récurrence des inondations urbaines est due à la combinaison de ces facteurs. «Néanmoins les facteurs naturels sont difficilement prévisibles et contrôlables alors que les facteurs humains relèvent de la gouvernance urbaine », relève-t-elle. Par conséquent, «une bonne gouvernance urbaine peut contribuer à réduire le risque d'inondation en s'appuyant sur des techniques alternatives d'assainissement et des aménagements urbains et paysagers adaptés», conclut la spécialiste. De son côté, Saci Belgat estime qu'il faut toutefois relativiser en ce qui concerne les inondations. Selon lui, l'Algérie, comme tout l'axe sud de la méditerranée, est et sera à l'avenir plus affectée par la sécheresse, le stress hydrique, que par les inondations. Pour lui, l'épisode cévenole où il pleut un peu plus que l'équivalent d'un mois de pluie en moins de deux heures sur l'Hérault en France, a très peu de chance de se produire sur le pourtour méditerranéen de l'Algérie. «Au contraire, le changement climatique s'est traduit ces 30 dernières années par un déficit pluviométrique de 30%. Non seulement les pluies deviennent rares mais elles sont très irrégulières, sauf exception en quelques poches orographiques des massifs du Tell oriental entre Jijel, Collo, Skikda qui reçoivent une pluviométrie égale ou supérieure à 1500 mm/an. Les pluies sont automnales, l'hiver est sec et le printemps est de moins en moins pluvieux», conclut-il. Par Sofia Ouahib [email protected] Advertisements