On ne s'exile jamais de son identité, on peut prendre de la distance, en épouser une autre mais le divorce avec la première n'est jamais consumé, radical. Zahia Rahmani, avec beaucoup de pudeur et de colère, explore l'identité collective, le regard de l'autre et pose la question : c'est quoi être musulman en France ? Un livre poignant. Zahia Rahmani souffre. Pour elle d'abord et pour les siens ensuite. Comment vivre dans un ghetto, comment être française dans un non-lieu ? Comment être kabyle, algérienne dans une société qui vous rejette ? Les racines, encore et toujours. On a beau les couper, elles bourgeonnent et envahissent votre jardin, votre vie. Impossible de s'en défaire. Elles sont comme les lierres. Obsédantes. « Je suis née d'une langue mineure pour surgir d'un nulle part lointain qui ne me voulait pas. Et une langue sans texte, ça se rive, ça s'accroche et se soude au corps. En ces temps de solitude et d'abandon, c'est d'elle que je tire ce qu'il me faut pour vivre. » Car l'auteure a beau s'éloigner du berbère, elle ne trouve pas de repos. Elle y revient pour recharger ses batteries. Zahia Rahmani, avec un rare talent, explore son univers introverti pour mieux interroger le présent. Si une identité héritée peut se révéler très vite une prison, un cadre très étroit, où l'on étouffe très vite, où la collectivité peut faire suffoquer l'individualité, elle peut aussi devenir une oasis dans une société qui cultive, pousse à la schizophrénie et à un certain reniement. On n'est jamais assez intégré, toujours étranger. Même si l'on est de la énième génération. Tous des blédards, de père en fille. Enfant d'immigrés. A vie. Eternellement. Et Zahia Rahmani sait trouver les justes mots pour décrire des situations ubuesques, où l'on est catalogué comme des animaux, étiqueté comme des fromages, diront certains. Musulman, dites-vous ? Et cela veut dire quoi ? Un héritage biologique, une tare inscrite dans l'ADN ? Une identité passive, voire violente ? Existons-nous par le regard, sinon l'injonction, de l'autre ? Doit-on encore et encore se justifier d'être ? De répondre à des clichés. Les deux livres de Zahia Rahmani, Moze et Musulman, édités tous deux chez Sabine Wespieser, sont un questionnement à la responsabilité d'assumer une filiation. Avec un style concis, percutant, elle nous dit toute la complexité de l'histoire, de vivre ensemble, d'être apatride, car refusé(e) de tous côtés. C'est un cri (pudique) à la face du monde, un appel à la raison et à l'humanité.