Faute de pouvoir être reçu par Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, qu'il est impossible de voir « pour des raisons de sécurité », nous a-t-on dit, nous avons rencontré le docteur Ahmed Malli, membre du conseil politique du Hezbollah, l'instance suprême de cette organisation paramilitaire. Notre interlocuteur est professeur de droit et de sciences politiques à l'université de Beyrouth. M. Malli, Beyrouth a été secouée en un laps de temps assez court par quatre attentats. A qui les attribuez-vous ? Il faut dire que la polarisation administrative et l'atmosphère politique contribuent à cette situation. Jusqu'à maintenant, on ne peut pas dire qui en sont les commanditaires. En l'absence de preuves, c'est facile d'accuser. Il y a eu quatre attentats presque tous similaires. Ils étaient sans gravité et ils ont eu lieu durant la nuit dans une zone industrielle et dans une zone chrétienne en plus. A qui profite le crime ? Pour moi, les commanditaires sont des adversaires du pouvoir officiel. Il y a des gens qui réclament une intervention internationale au Liban. Des Libanais expatriés, surtout parmi les résidents aux Etats-Unis, réclament une force multinationale pour garantir la sécurité des Libanais. Israël a-t-il un intérêt quelconque dans ces attentats ? Les Israéliens n'ont pas caché leur participation à l'adoption de la résolution 1559. Celle-ci parle du désarmement des milices. Le Hezbollah a une vue globale de cette résolution. Jusqu'à maintenant, Israël ne s'est pas retiré des fermes de Chebaâ (*). Des Libanais sont toujours prisonniers en Israël qui menace toujours le Liban. En 1968, un attentat anti-israélien a eu lieu en Europe. Pour se venger, des troupes israéliennes ont été envoyées à l'aéroport international de Beyrouth où elles ont détruit tous les avions civils. Si aujourd'hui le Hezbollah détient des armes, c'est pour défendre le Liban. Israël viole régulièrement l'espace aérien libanais, mais il n'ose plus se livrer à des incursions terrestres parce qu'il a peur de nous. Les armes que nous détenons sont une affaire entre les autorités libanaises, le Hezbollah et le peuple libanais. Le Hezbollah est-il d'accord pour le retrait des forces syriennes du Liban ? Il y a des différences de situation. Il y a eu des manifestations contre les ingérences américano-françaises. Par contre, les soldats syriens ont aidé les Libanais. Ils ont versé leur sang pour le Liban. Est-ce que le Hezbollah est prêt à rejoindre l'opposition ? Jamais ! Nous considérons que certains groupes dans l'opposition travaillent en harmonie avec ceux qui prônent les interventions internationales. Pour le Hezbollah, le but essentiel est la libération du territoire national libanais et la protection du Liban contre les menaces israéliennes. La ligne politique de l'opposition ne correspond pas à nos objectifs. On voit que le Liban a réalisé son unité. Or, on voit dans la démarche de l'opposition un moyen d'affaiblir cette unité et c'est Israël qui en profitera. Mais le Hezbollah est intéressé pour entretenir des relations avec l'opposition. Pensez-vous que le Liban pourrait plonger de nouveau dans une guerre civile ? Chaque fois que l'équilibre interne est rompu, que l'harmonie avec l'environnement arabe est remise en cause, la paix civile est perturbée. Les Libanais sont traumatisés par la guerre civile. Il faut craindre les aventuriers. Croyez-vous qu'Israël pourrait de nouveau envahir le Liban ? Israël peut envahir le Liban, mais ne peut plus l'occuper, car ce serait une erreur stratégique. Je me rappelle un article paru dans Executive Intelligence Review, qui a révélé le projet Clean Break. Le document a été rédigé par un expert sioniste américain. Il fait partie de l'entourage de Richard Pearl. Le texte a été présenté à Netanyahou, alors Premier ministre israélien, en 1996. Il suggère qu'il ne faut pas échanger la terre contre la paix. Il conseille de provoquer la chute de Saddam Hussein et de créer une alliance stratégique Turquie-Jordanie-Israël et d'affaiblir la Syrie. Pour atteindre ce dernier objectif, il demande d'utiliser l'opposition libanaise contre la Syrie. D'après vous, qui est derrière l'assassinat de Rafic Hariri ? L'assassinat de Rafic Hariri fait partie d'un scénario. Après la résolution 1559, Damas ne pouvait pas défier tout le monde et l'assassinat de l'ancien Premier ministre est une tentative de remettre en cause l'unité. Rafic Hariri a fait beaucoup pour la reconstruction du Liban. Quant à l'opposition, elle est hétérogène. Les sunnites et Walid Joumblatt sont attachés aux accords de Taef. D'autres groupes de la même mouvance cherchent, par contre, la suppression de ces accords. (*) La ferme de Chebaâ est une enclave de 40 km2, située à l'intersection des frontières syrienne, libanaise et israélienne. Elle a été occupée par Israël en 1967. Pour l'ONU, elle appartient à la Syrie, mais le Liban la revendique aussi, sans en faire un cheval de bataille. Demain : « Hariri, un homme d'exception »