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Publié dans El Watan le 19 - 04 - 2005

Loin d'un choc des civilisations préfabriqué, nous devons nous concentrer sur un lent travail en commun de cultures qui se chevauchent, empruntent les unes aux autres et cohabitent de manière plus profonde que ne le laissent penser des modes de compréhension réducteurs et inauthentiques. » Edward W. Saïd.
En décembre 1948, le comité central élargi du PPA/MTLD se réunit à Zeddine (Aïn Defla). La direction du parti se recherche. La base est bouillonnante, lassée par l'immobilisme de ses chefs qui s'accommodent petit à petit à la « bureaucratisation ». C'est dans cet environnement qu'un jeune cadre du parti, Hocine Aït Ahmed, présente son rapport/projet (1) au comité central dans lequel il insiste sur “l'algérianité de la Révolution » sans aucune référence linguistique, en rappelant les idées d'indépendance, de révolution et de démocratie. Ce rapport préconisant la lutte armée, adopté à la majorité écrasante, suscite un espoir et donne un nouveau souffle aux jeunes militants avides d'action après les massacres de mai 1945. C'est dans cet esprit que la Fédération de France PPA/MTLD tente de clarifier la question nationale soutenant l'égalité des langues et cultures arabes et berbères. Mais la direction du parti réagit violemment et décide la dissolution pure et simple de la fédération. La presse coloniale s'empare de cette crise et la dénomme « crise berbériste ». La méfiance à l'égard des intellectuels persistera au sein du FLN après 1954. Ainsi, la Fédération de France du PPA/MTLD perdra son autonomie. Ses cadres dirigeants sont désormais nommés et ne sont plus élus. Ils constituent une délégation qui relève de l'exécutif du parti à Alger ! La dynamique enclenchée par les espoirs soulevés par le rapport de Zeddine, notamment en ce qui concerne l'algérianité de l'Algérie, sera freinée. Aït Ahmed, son promoteur, lui-même est écarté de la tête de l'OS pour être remplacé par Ben Bella. « Solutionnée » avec violence et bureaucratie, cette crise étouffe la démocratisation du parti et la question berbère durant toute la lutte armée. La vague de suspicion, de séparatisme et de division n'était en réalité qu'une ruse de la direction. Car le même Aït-Ahmed sera pourtant le premier diplomate algérien à faire reconnaître le droit à l'autodétermination du peuple algérien à Bandoeng (Indonésie), comme l'explique Ferhat Abbas : « L'impact international se produit pour la première fois à la conférence internationale de Bandoeng où nous avons vu Aït Ahmed faire preuve de ténacité et d'habilité. Durant des mois, il alla prêcher en Asie et il parvint à vaincre les hésitations du président Nehru, du Premier ministre Chou En-Lai et du président Nasser. Avec l'appui de ces trois hommes d'Etat, la partie était assurée d'être gagnée » (2). La même année, en 1955, il entreprit une autre démarche à l'ONU et réussit à convaincre la Xe session de l'Assemblée générale de l'ONU que l'Algérie n'était pas la France. Que la question algérienne n'était pas une question intérieure de la France. C'est la cause algérienne, celle d'un peuple opprimé qui est défendue par ce militant nationaliste accusé à tort, avec beaucoup de ses compagnons de lutte du lycée de Ben Aknoun, de séparatistes. Pour peu que ces jeunes militants d'alors produisaient de l'effet afin de sortir de l'immobilisme des appareils, que les « chefs » sortent l'épouvantail du « complot colonialiste » ou de « berbéro-matérialistes issus de l'école française ». A l'indépendance, le spectre du berbérisme lié au séparatisme est nourri par les « nouveaux » révolutionnaires. La dimension amazighe est mise sous le boisseau. Les manuels scolaires et bien sûr le discours officiel l'ignorent. Mouloud Mammeri, l'anthropologue et écrivain, tente de percer le silence, voire la rétention du pouvoir sur la question amazighe. Ainsi, en avril 1980, sur un acte d'autorité, une simple conférence qu'il devait animer à l'université de Tizi Ouzou est annulée. Un zèle de la « pensée unique » qui a poussé une jeunesse avide d'identité et de vérité à l'exacerbation. Les étudiants ne se laissent pas faire et protestent. La réplique du régime ne s'est pas fait attendre. Les outils de la répression étaient déjà prêts : avec une violence inouïe, la contestation pacifique est réprimée et les franchises universitaires sont violées par les services de police et l'armée. La rue gronde et Tizi Ouzou est isolée du reste du pays. C'était une sorte d'« opération Jumelle bis » que la population subissait. La presse étatique et l'Unique ne sont pas en reste. Elles se chargent de la propagande et de la diversion. Mais l'ampleur des affrontements a démontré que la question berbère n'était pas le fait d'« intellectuels isolés agissant pour le compte de l'étranger, mais de toute une population berbérophone algérienne. Cet événement constituera l'un des événements politiques majeurs de l'Algérie indépendante ». (3) Les manifestants, pour la majorité, avaient moins de 25 ans d'âge. C'est une génération formée à l'école algérienne et qui n'a pas connu la France. Bien que pétrie dans le système éducatif d'un régime éloigné de la réalité socioculturelle de l'Algérie profonde, cette jeunesse avait pris les devants de l'histoire et a remis brutalement la question amazighe sur la scène de l'actualité à travers les événements du printemps 1980. L'invincibilité du régime est battue en brèche. Vingt-cinq ans après, où en est on ? Certes, sur le plan des tabous, cette question n'est plus ce qu'elle était. Elle a acquis le statut de langue nationale. Mais des événement importants méritent le détour. Le Mouvement culturel berbère (MCB), né des douloureux évènements du printemps 1980, qui avait pris en charge cette revendication pacifique et démocratique, a éclaté d'une manière foudroyante. En 1989, un nouveau parti, « mortellement démocrate », commence la déstructuration du MCB pour bien édifier le nouveau parti né dans les coulisses de la Présidence bien avant la promulgation de la loi sur les partis politiques en 1989. Ses membres fondateurs, pour la majorité du moins, sont tous issus du MCB. La saignée commence et la revendication de tamazight devait être le cheval de bataille de ce nouveau parti. Malheureusement, des évènements surprenants nous enseigneront le contraire. En fin de compte, ce parti est créé pour d'autres objectifs et finit par prendre la forme d'« une secte » (4) à la solde du pouvoir. Pour preuve : la grève du cartable en 1995 est arrêtée brutalement au mois d'avril à quelques semaines de la fin de l'année scolaire. Les élèves de Kabylie et des autres régions qui avaient suivi ce mouvement le payeront en « année blanche ». Alors, on vendait en concomitance l'avenir d'une génération contre une place de lièvre à la course à la Présidence, en novembre de la même année. La « grève du cartable » est un succès pour ce parti qui se prépare à rallier publiquement et officiellement le Pouvoir. Pour lui, le Haut-Commissariat à l'amazighité (HCA) venait d'être décrété et c'est « une avancée historique ». Pour un membre fondateur du MCB, fidèle et intraitable sur la question identitaire, « tamazight ne sort plus des commissariats comme l'étaient ses militants sincères ». (5) Triste vérité ! Plus près encore, à Tizi Ouzou et devant un parterre de personnalités régionales et nationales, artistiques et politiques, la cause amazighe est de nouveau piétinée. A une question sur l'officialisation de tamazight, le président Bouteflika répondra par le tristement célèbre « Jamais ». Les algériens ont pris acte et lui répondent par le même mot « Jamais ». On arrêtera la marche d'un peuple pour renouer avec son identité et retrouver enfin la paix et la sérénité dans une Algérie libre et plurielle. Au fait, une langue officielle n'est-elle pas ce dialecte qui a une police et une armée pour la défendre ?
(1) Voir le rapport intégral in Les archives du FLN de Mohamed Harbi
(2) Autopsie d'une guerre de Ferhat Abbas
(3) Imazighen assa de Salem Chaker
(4) Propos de Ferhat M'henni dans un quotidien national après son divorce avec ce parti
(5) Djamel Zenati


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