Ce qui compte réside dans le fait que nous croyons en Un Seul Dieu, même si nous en avons une compréhension différente. Ces 11 et 12 Novembre, à l'initiative du roi Abdellah de l'Arabie Saoudite, se tient à New-York une réunion diplomatique internationale sous l'égide de l'ONU, sur le dialogue interreligieux. Il y a quelques années, les conservateurs et autres gardiens du temple étaient opposés à ce type d'action. Aujourd'hui, tout le monde ou presque s'empresse de parler du dialogue des civilisations. Après l'initiative conjointe de l'Espagne, de la Turquie et de l'Iran de Khatami, sur l'alliance des civilisations, la question est discutée partout. La place centrale du dialogue des cultures et interreligieux dans les relations internationales est perçue comme une priorité. L'Algérie n'est pas en reste, sa politique a toujours favorisé le rapprochement entre les peuples. Ce qui paraissait une pratique élitiste et utopique commence à se généraliser par le haut, reste à ce que les simples citoyens s'approprient la démarche. Ainsi, suite à l'audience privée et inédite que m'a accordée, en tant qu'Algérien, le pape en 2006, après son discours choquant de Ratisbonne, suivi par l'appel sans précédent de cent trente-huit intellectuels et théologiens musulmans, aujourd'hui 255, inspiré d'un verset coranique, «Venez à une Parole commune», une rencontre historique entre 24 personnalités musulmanes et 24 personnalités catholiques, s´est déroulée au Vatican du 4 au 6 novembre 2008 dans une atmosphère franche, marquée par le respect réciproque. Un signe fort La délégation conjointe fut reçue par le pape qui encouragea le dialogue et la bonne entente entre nos religions et nos communautés. Cette rencontre est un signe fort en direction du monde entier, pour dire qu'il est possible de vivre ensemble entre croyants de différentes religions monothéistes et aussi entre êtres humains libres de croire ou de ne pas croire. Une page est tournée. Contrairement aux préjugés de certains, nous avons pu discuter de questions de fond et de théologies et prendre des positions claires au sujet du respect de la liberté de conscience. Des divergences existent évidemment entre nos approches théologiques, mais elles n'empêchent pas la coexistence. Sur le plan de la doctrine, nous musulmans, nous revendiquons le statut que nous appliquons aux autres communautés monothéistes, des «Gens du Livre». Vocable qui étrangement ne semble pas convenir à nos interlocuteurs. La révélation et le strict monothéisme sont notre horizon. Le Coran à juste titre est pour les musulmans la Parole directe de Dieu «descendue» sur le coeur du sceau des Prophètes. Livre sacré et ouvert, qui demande de faire évoluer l'interprétation. Ce que le pape et certains de ces conseillers ne semblent toujours pas bien comprendre. Une certaine méconnaissance de l'Islam et des vieux préjugés étaient perceptibles. Pourtant nul ne peut confisquer le «logos». Le débat, la confrontation de foi à foi, ont permis de présenter les fondements religieux de chacun et de faire avancer l´interconnaissance au sujet de Dieu et du prochain. La connaissance, le savoir, le raisonnement sont la voie du respect mutuel. Il faut savoir que la Miséricorde est centrale pour les musulmans, tout comme l´Amour pour les chrétiens, et ces deux piliers ou commandements sont aussi des valeurs de chacune des religions. Ce qui compte réside dans le fait que nous croyons en un Seul Dieu, même si nous en avons une compréhension différente, et nous sommes deux rameaux abrahamiques proches, même si nous avons une histoire différente. Nous avons mis l'accent, en tant que musulmans, sur l'idée que la liberté responsable est le fondement de l'existence. De plus, on a expliqué que l´Islam, religion et monde, ne confond pas les dimensions essentielles de la vie, le temporel et le spirituel, il les lie en termes de cohérence. Un communiqué final en 15 points rappelle les principes théologiques des deux religions et l'attachement des croyants à respecter les principes du droit à la différence, de la liberté et de la justice. Contrairement aux préjugés et appréhensions, les musulmans n'eurent aucune difficulté à affirmer ces principes qui sont coraniques et prophétiques. Sur le plan du diagnostic, nos amis chrétiens ont mis en avant les discriminations que subissent actuellement leurs coreligionnaires dans certaines régions du monde musulman, comme en Irak. Tout en considérant ces situations comme absolument injustifiables, la délégation musulmane a insisté sur le fait qu'il fallait en rechercher les causes, politiques, comme l'occupation brutale par des forces étrangères qui prétendent agir au nom du christianisme. De plus, les discriminations que subissent les musulmans et l'islamophobie dans le monde occidental ont pris des proportions préoccupantes, souvent comme prolongement de l'antisémitisme. L´islamophobie est, à nos yeux de musulmans, une diversion, le mal de notre temps depuis la fin de la guerre froide et après le 11 septembre. Le monde musulman subit la politique des deux poids, deux mesures. En réaction, des attitudes irrationnelles d´inauthentiques croyants ou de régimes obtus portent aussi préjudice à l´image des musulmans. L´injustice est la première des causes des problèmes de notre époque. Les musulmans, les chrétiens, et toute l´humanité sont confrontés aux défis des dérives du monde moderne marchand et arrogant, qui opprime, déshumanise, pousse au désespoir, et suscite l´instrumentalisation de la religion qui porte gravement préjudice. Aujourd´hui nous avons un destin et une responsabilité communes. Notre histoire commune est marquée par la coexistence, plus que la confrontation violente. Pour être fidèles à nos Messages, devenir crédibles et pratiquer les principes de paix, et les faire adopter par les masses, notamment les jeunes, nous devons nous souvenir et êtres justes et solidaires de manière non sélective, des peuples et groupes qui souffrent de discriminations. Dans ce sens, il y a lieu de contribuer à la connaissance objective de l´autre. Un regard critique La difficulté réside dans le fait que l'immense majorité des citoyens en Europe se considère incroyante, émancipée à l' égard de la religion. D'un autre côté, des musulmans ont une vision crispée de la religion. Sans remettre en cause les acquis, d'une part, de la modernité, et, d'autre part, de la religion, on est en droit de porter un regard critique sur nous-mêmes et sur l'amère réalité. La question de la religion détermine toutes les autres. En ces temps d'incertitude, elle concerne la vision que nous avons de l'humain, le vivre-ensemble, le rapport entre les dimensions essentielles de l'existence. La sécularisation ne signifie pas disparition de la foi religieuse. Cependant, les contradictions de notre époque ont abouti à la remise en cause des valeurs abrahamiques, à la marginalisation de la dimension spirituelle de l'humain. Comment respecter la sécularité sans déséquilibrer et déshumaniser? Comment participer de manière commune et publique à la recherche du vrai, du beau et du juste, sans nourrir les crispations informes du religieux? Comment renforcer l´autonomie de l´individu sans perdre le lien social et l´être commun? Religion et monde, l'Islam est préoccupé par cette problématique. Les questions de la «transcendance», de la «communauté» et du «sens» restent ouvertes, même si elles sont refoulées ou reversées sous des formes rétrogrades. «Il faut renoncer à l'abandon même» tel est le message d'espérance d'un musulman aujourd'hui. Pratiquer l'autocritique au sujet de sa propre tradition et la critique des dérives de la modernité est un devoir. Reste à discerner, à ne pas faire endosser, pour les uns, à la religion, à l'Islam, ce qui relève des incohérences de la politique, et pour les autres à la raison, sous prétextes des risques qu'elle fait encourir. Déspiritualisation, dépolitisation, déraison, trois figures du monde actuel devenu intolérant. Il est urgent de relever par la créativité, l'ijtihad et l'éducation des jeunes, ces défis auquels la foi et la raison doivent répondre pour redevenir une chance et non une menace pour les gens, afin de garantir un vivre-ensemble où tout le monde est respecté. L'Islam est méconnu, autant par certains des siens qui lui portent préjudice, que par des non-musulmans, et trop d'amalgames sont distillés contre lui. Les islamophobes profitent des contradictions et archaïsmes de nos sociétés pour tromper l'opinion publique internationale. Lors du Forum, on a convenu que le prosélytisme est inadmissible, même si chacun a le droit de témoigner de sa foi. On a droit de protéger la cohérence et la stabilité de nos communautés, tout en respectant le droit à la différence. Le dialogue interreligieux peut contribuer à ramener plus de compréhension et à faire reculer la logique inique du choc des civilisations. Il n´y a pas d´autre alternative pour réapprendre à vivre ensemble entre êtres humains et de surcroît frères abrahamiques. Il a été convenu de rendre permanent ce Forum mondial, qui se réunira tous les deux ans, comme canal de concertation pour prévenir et régler les crises au sujet du dialogue et contribuer au rapprochement entre les peuples. On ne peut pas tout changer en une réunion, mais ce premier pas ouvre l'horizon. Même s´il reste un long chemin à faire, compte tenu des préjugés, des méconnaissances, des risques et de la complexité de la situation, il ne faut pas s´abandonner à la lassitude. L'espoir est permis. Reste aussi à conforter le dialogue à l´intérieur de chacune de nos communautés. L'amitié islamo-chrétienne n'est pas un mirage.