L'un des aspects les plus saillants de la célébration du 20 Avril cette année est le recul de la symbolique du printemps noir par rapport à celle du printemps amazigh. Le fait est observé à travers les formes que prend la célébration et dans l'environnement politique global qui caractérise la conjoncture. Les effets de la dislocation du mouvement des archs, qui a occupé la scène politique, outrageusement selon certains, combinés aux retombées de l'engagement d'une tendance forte de la structure dans le processus de dialogue qui traîne en longueur avec le chef du gouvernement, frappent de récession la charge dynamique d'Avril 2001. Ils provoquent par ailleurs un vide qui fait renouer la célébration de la date avec les années de jachère, les instantanés de luttes partisanes entre le FFS et le RCD en moins. Une variante des anciennes luttes peut néanmoins s'observer cette année à travers la nouvelle dualité des deux tendances animant ce qui reste du formidable mouvement de protestation né il y a quatre ans. L'une, rangée derrière la délégation menée par Belaïd Abrika, trouve logiquement incohérent de reprendre la rue et de crier « ulach smah ulach » lors même où elle est en phase de négociation avec le gouvernement et l'autre, vouant aux gémonies la démarche de l'aile rivale, promet sans convaincre, depuis des mois, de donner une démonstration de mobilisation à même de court-circuiter le dialogue en cours. Une querelle méandreuse et ambiguë pour l'opinion et dont l'effet redoutable est de déteindre rétroactivement sur l'ensemble du combat mené jusqu'ici pour la fameuse plateforme d'El Kseur. Sur un autre plan, la visite du chef du gouvernement à Beni Douala et son recueillement sur la tombe de Guermah Massinissa interviennent au moment fort de la subite mansuétude des pouvoirs publics pour la date et sa charge symbolique ; attitude également relevée à travers les facilités, voire les incitations, accordées aux initiateurs de manifestations commémoratives, dans un élan qui se veut continuateur de la démarche de dialogue et de réconciliation tous azimuts engagée par l'Etat. Mansuétude subite du Pouvoir Il serait toutefois trompeur de croire en la fin du ressentiment envers le Pouvoir parce qu'un chef du gouvernement s'est déplacé sans anicroche sur les lieux de ce qui a été l'épicentre de la révolte d'Avril 2001 et que les structures culturelles publiques soient si généreusement mises à la disposition des animateurs associatifs et des sous dépensés en galas. Le FFS et le RCD, deux partis certes mis à rude épreuve depuis au moins la présidentielle de l'année dernière, mais qui demeurent les deux acteurs les plus à même d'aspirer honnêtement, au-delà de la glaciation politique actuelle, à une certaine représentativité dans la région, développent les critiques que l'on sait vis-à-vis de la démarche, en s'accordant sur le fait qu'il y a en l'occurrence un sérieux problème d'éthique politique. Ainsi, pour le premier sécrétaire du FFS, parti qui en est encore à s'ulcérer du traitement fait à l'affaire des élus, le déplacement d'Ouyahia à Beni Douala n'est qu'une tentative de faire accroire à la normalisation, alors que le leader du RCD, qui sort à l'occasion d'un silence observé depuis une année, suggère, en ancien militant du MCB, qu'un représentant du Pouvoir n'a rien à célébrer le 20 Avril comme lui-même ne peut célébrer la date du 19 Juin. Ce scepticisme, que l'on peut taxer de principiel venant de deux partis qui émargent à l'opposition, a cependant la force d'être relayé par de larges pans de l'opinion. Des militants du MCB relèvent, pour leur part, que l'on continue à flotter dans la confusion. « D'un large forum de débat, d'un espace démocratique propice à l'émergence des idées de progrès et de modernité (...), la Kabylie est devenue un lieu fermé et stérile, bloquée par un consensus étouffant toute diversité et imposant un unanimisme négateur des valeurs de démocratie et de citoyenneté », est-il constaté dans un appel à l'élaboration d'une charte politique signé par six anciens animateurs du MCB et non moins militants politiques et diffusé à la veille de ce 25e anniversaire du printemps berbère. Un appel qui, vu la conjoncture et au train auquel évolue la situation, n'a que très peu de chances d'être entendu. Enfin des voix résument l'atmosphère de ce 25e anniversaire en affirmant que, via la folklorisation, le Pouvoir tente d'édulcorer la substance politique de l'évènement et se dépense à réduire sa portée à l'une des entrefaites du dialogue entre le Pouvoir et le mouvement des archs, alors que les acteurs politiques traditionnels et des animateurs du mouvement associatif tentent de remonter à la source du 20 Avril 1980, repère autrement plus consensuel et plus fondateur pour le combat démocratique, se résout-on à admettre sans vraiment l'assumer.