Le mandat donné aux dirigeants d'une société par actions ne leur confère pas le pouvoir de passer, au nom de la société, des contrats avec eux-mêmes. Si en droit commercial général le contrat conclu avec soi-même est envisageable sous certaines conditions, il en est différemment en matière de sociétés commerciales. Dans sa partie consacrée aux sociétés par actions, le code de commerce prescrit un certain nombre de précautions : « Toute convention entre une société et l'un de ses administrateurs - soit directement, soit indirectement - doit, sous peine de nullité, être soumise à l'autorisation préalable du conseil d'administration après rapport du commissaire aux comptes. » « Il en est de même pour les conventions entre une société et une autre entreprise si l'un des administrateurs de la société est propriétaire associé ou non, gérant, administrateur ou directeur de l'entreprise. L'administrateur, qui se trouve dans l'un des cas ainsi prévus, est tenu d'en faire la déclaration au conseil d'administration. » « Les dispositions qui précèdent ne sont pas applicables aux conventions normales portant sur les opérations de la société avec les clients. » « A peine de nullité absolue du contrat, il est interdit aux administrateurs d'une société de contracter, sous quelque forme que ce soit, des emprunts auprès de la société, de se faire consentir par elle un découvert en compte courant ou autrement ainsi que de faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements envers des tiers. » « Le commissaire aux comptes présente à l'assemblée générale un rapport spécial sur les conventions autorisées par le conseil. » « L'assemblée statue sur le rapport du commissaire aux comptes ; les conventions qu'elle approuve ne peuvent être attaquées qu'en cas de fraude. » « Le ou les administrateurs intéressés ne peuvent pas prendre part au vote et leurs actions ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité. » Ces dispositions s'appliquent aussi aux membres du directoire et du conseil de surveillance. Peu importe que les conventions soient écrites ou verbales. Le décor juridique étant posé, qu'est-ce qui explique un tel garde-fou ? Dans le courant de la vie d'une société, des dirigeants sociaux, profitant de leurs fonctions, peuvent être tentés de servir leurs propres intérêts ou ceux d'entreprises dans lesquelles ils sont intéressés au détriment de la société. Ils peuvent également faire garantir leur crédibilité personnelle en se faisant cautionner, par la société, au risque, en cas de défaillance, de mettre la société en péril. D'où l'intervention de la loi, soucieuse de préserver les intérêts des actionnaires et des tiers en réglementant de telles opérations : certaines sont purement et simplement interdites, alors que d'autres sont soumises à un formalisme précis qui consiste en l'appréciation des conventions correspondantes par le commissaire aux comptes et à leur approbation par les actionnaires. Il est demandé au commissaire aux comptes d'émettre une opinion sur lesdites conventions : lui paraissent-elles avoir été conclues dans des conditions normales ou non ? Le commissaire aux comptes signale non seulement les conventions autorisées dont il a été avisé, mais aussi celles, non autorisées, qu'il aurait découvertes au cours de ses investigations. Rappelons que le rapport spécial du commissaire aux comptes sur les conventions réglementées est au nombre des documents à adresser aux actionnaires sur leur demande ou qu'ils peuvent consulter dans les 15 jours précédant l'assemblée. Pour les opérations interdites, la loi précitée en donne une énumération précise qui n'appelle pas de commentaire. Quant à celles dites réglementées, elles ne sont pas forcément toutes susceptibles d'être préjudiciables pour la société, elles peuvent même être réellement profitables pour elle, et c'est seulement pour empêcher d'éventuels abus qu'elles sont soumises au formalisme susdécrit. En ce qui concerne les « conventions normales » que la loi ne retient pas comme faisant partie de celles qualifiées « réglementées », il s'agit de celles qui portent sur des opérations courantes conclues à des conditions normales. Dans la pratique, et pour éviter tout malentendu susceptible de résulter d'une interprétation erronée de la loi, il est prudent de les soumettre à la procédure des conventions réglementées, empêchant ainsi qu'elles soient remises en cause. On retiendra à ce sujet que la qualification d'opération courante et normale est une question de fait : les exceptions liées aux actes courants doivent s'interpréter restrictivement. Quelques cas particuliers Sont à considérer comme conventions réglementées : les avenants à une convention autorisée ; les modifications substantielles apportées à une convention déjà autorisée ; les avances en compte-courant. Autre précision utile : que faut-il entendre par convention conclue « indirectement » par un dirigeant avec la société ? Plusieurs hypothèses sont possibles comme le cas où le dirigeant, bien que ne disposant pas en son nom d'intérêt dans l'entreprise cocontractante, en posséderait en réalité, via l'un de ses proches (conjoint, enfant...) ou d'un homme de paille. Il appartient au juge d'apprécier au cas par cas la notion d'interposition indirecte. Enfin, quel est le sort d'une convention conclue sans avoir été autorisée par l'organe dirigeant, ni autorisée par les actionnaires ou si ces derniers ont refusé de l'approuver ? La loi est claire : la convention est frappée de nullité sauf si elle est couverte par un vote de l'assemblée générale exprimé après avoir pris connaissance du rapport spécial du commissaire aux comptes. Si la convention est irrégulière au sens de la loi ou rejetée par les actionnaires, elle produira néanmoins tous ses effets vis-à-vis des tiers à charge pour la société de se retourner contre le dirigeant défaillant s'il apparaît que la convention a provoqué des conséquences dommageables pour la société. L'auteur est (*) Expert-comptable, commissaire aux comptes, expert fiscal et judiciaire