Les dirigeants de société sont dotés, en vertu des dispositions légales et statutaires, des pouvoirs les plus étendus pour exercer leurs fonctions dans le cadre précis de l'objet social. Il n'est évidemment pas question pour eux de céder des actifs de la société sans l'accord des associés ou actionnaires, confirmé par une résolution votée dans les conditions de majorité requise, en assemblée générale. En effet, la cession des biens meubles et immeubles appartenant à la société n'entre pas dans l'objet social qui est normalement en relation avec l'activité économique de l'entreprise. Il va de soi qu'ils doivent user de leurs prérogatives dans le seul intérêt de la société et surtout sans favoriser une autre entreprise dans laquelle ils ont, directement ou indirectement, des intérêts. En incluant l'abus de pouvoirs parmi les actes de gestion susceptibles de constituer une infraction pénale, la loi a voulu sanctionner l'usage abusif, c'est-à-dire au détriment de la société, le plus souvent au profit direct ou indirect des mandataires sociaux. Le concept d'usage abusif des pouvoirs fait l'objet, en doctrine, de deux interprétations. La première, restrictive, est défendue par J. Cosson, un auteur connu des spécialistes en droit pénal des affaires, en forme de note sous un arrêt de la cour de cassation du 16 janvier 1989, n° 87.85-164 (Dalloz 1989, p 495). La seconde est soutenue par A. Touffait, un autre spécialiste de renom, à travers une note sous le même arrêt et selon lequel, les pouvoirs reconnus aux mandataires sociaux doivent s'entendre de « l'ensemble des droits que les dirigeants sociaux possèdent sur la société en vertu de leur mandat » et « l'ensemble des droits accordés par la loi et les statuts aux dirigeants sociaux. » C'est cette dernière thèse qui a majoritairement les faveurs de la doctrine, et aussi et surtout, suivie par la jurisprudence abondante en matière d'abus de pouvoirs. On citera ci-après pour information quelques exemples de la cour de cassation qui vont dans le sens de poursuites du chef d'abus de pouvoirs. Il en a été ainsi pour : le dirigeant d'une société, ayant reçu pour mission de négocier la vente d'un terrain de 10 000 m2 qui, malgré une offre d'achat à 70 francs/m2 qui lui a été faite, a fait accepter au candidat acquéreur une promesse d'achat à concurrence de 61 francs/m2 à la condition d'acquérir en même temps des boxes commerciaux appartenant à une société dans laquelle il avait des intérêts (cass.crim. 29.4.1985 n° 84.92.129) ; le gérant d'une société qui a accepté au nom de celle-ci, d'une SCI dont son père était actionnaire majoritaire, dans des conditions manifestement désavantageuses, un bail de construction (cass.crim 8-1-1990, n° 88.84-675) ; le directeur général d'une société qui, désireux de favoriser un de ses amis salarié qui lui était fidèle, a conclu avec celui-ci un contrat de travail retenu préjudiciable à l'entreprise en ce qu'il n'a pas été soumis au directoire et que, convenu pour une durée de 8 ans, oblige la société à verser au travailleur « protégé » le montant de ses salaires pendant cette même durée, même dans l'hypothèse où elle n'aurait pas besoin de ses services (cass.crim 29 avril 1985 n° 89.80-345) ; les dirigeants qui, en contrepartie d'un rabais qui leur est consenti à titre personnel sur le prix d'acquisition du capital d'une tierce entreprise, ont renoncé à une indemnisation prévue par un contrat de bail au profit de la société (cass.crim.27.4.1993, n° 91.82-363). En matière de contrats de sous-traitance désavantageux pour une société, le délit d'abus de pouvoirs a été retenu entre autres dans les cas suivants : le dirigeant, administrateur puis président d'une société anonyme (société par actions en droit algérien) qui avait participé au sein du conseil d'administration aux votes ayant autorisé la société à sous-traiter avec lui-même une série de marchés de travaux à travers lesquels il avait réalisé d'importants bénéfices, alors que la société détentrice des marchés facturait les travaux à prix coûtant subissant de ce fait des pertes (cass.crim. 3 janvier 1985 n° 84.92-041). le président et deux membres du directoire d'une société de travaux publics qui avaient passé avec une entreprise dans laquelle ils avaient des intérêts, une convention de sous-traitance avantageuse pour cette dernière (cass.crim. 16 janvier 1989 n° 87.85-164). Parmi les comportements déloyaux des dirigeants qualifiés d'abus de pouvoirs, en grand nombre, on en rapportera quelques-uns, soit : des administrateurs qui, pour céder leurs actions personnelles à des membres d'une société concurrente, omettent volontairement de signaler l'existence de dispositions statutaires qui limitent la liberté de cession des actions à des personnes n'ayant pas la qualité d'actionnaire. Ladite cession a eu pour effet le changement de majorité au profit d'une société concurrente (cass.crim. 21 janvier 1960 n° 95.009-56) ; le dirigeant d'une banque qui avait convaincu ses clients à retirer leurs fonds en dépôt à la banque pour les lui confier à des fins de placement plus avantageux à travers d'autres circuits qu'il connaissait confidentiellement. En cas de défaillance de sa part, la banque risquait d'être appelée à se substituer à lui, tout en encourant des sanction de la commission bancaire (cass.crim.19.11.1979, n° 78.91.771). le gérant d'une société qui avait incité le personnel de la société à démissionner en affirmant qu'il risquait d'être licencié, avant de l'embaucher dans une autre société (cass.crim. 28 janvier 1996, n° 95.84-879). le dirigeant d'une clinique qui a rompu, de manière fautive, les contrats de collaboration de deux médecins à des fins personnelles, en exposant la société à des risques d'actions judiciaires (cass.crim. 30 janvier 2001, n° 00.84.414).