La maison Dar El Gharb vient de publier un bel ouvrage sur les œuvres de l'esprit d'un grand intérêt pour les chercheurs et les profanes signé par Miliani Hadj. Méthodique comme une fourmi, l'auteur décortique, de manière minutieuse et sereine, les arts musicaux qui dominent actuellement le goût du public algérien, notamment dans son versant jeunesse. S'appuyant dans son élaboration intellectuelle sur « les mélanges de style et de musique » et « la diversité d'horizons musicaux », l'essayiste qu'il est tente d'expliquer avec ses outils théoriques mais aussi avec les limites liées à la nature du sujet, l'évolution des musiques raï, rap, également les musiques nées et grandies dans les milieux qui dérangent les ordres établis, notamment dans les milieux de l'immigration en France... Homme de terrain plutôt qu'homme d'amphi, il parle de la genèse et de l'évolution de ses arts en n'oubliant pas d'évoquer avec sympathie et retenue « le cursus artistique » des gloires nationales et internationales qui savent, mieux que tous les politiques, décliner aujourd'hui la géographie de l'Algérie, dans ses imaginaires, ses bouleversements et ses douleurs. Curieux comme le sont tous les chercheurs empiriques qui préfèrent le contact à l'apprentissage livresque, El Hadj s'intéresse de manière assidue au détail pour pénétrer l'âme des artistes trouble-fêtes, nés principalement à la marge. Des artistes nés dans la précarité pour justement parler à leur manière de « leur » précarité. Elle leur ressemble. Cependant, l'universitaire qu'il est ne se laisse à aucun moment prendre aux filets des concepts préétablis pour lire cet espace musical dans ses traditions séculaires, ses passions locales, ses filiations internationales et ses fureurs liées à l'âge... Il pense mais ne prophétise pas. Là n'est pas sa mission. Miliani qui enseigne les lettres françaises dans les universités algériennes, voilà plus d'un quart de siècle, sait que certaines approches « classiques » de nombre de ses collègues peuvent s'avérer inefficaces, voire stériles dans la lecture de tout environnement par essence mouvant, changeant, contradictoire, tout comme la vie. Habitué depuis longtemps aux arts populaires et surtout à ceux qui les pratiquent, Miliani Hadj ne désigne pas de frontières théoriques rigides pour dire ses convictions d'intellectuel produisant de la connaissance. Il reste modeste devant l'étendue de la tâche, honnête dans l'acte d'appréhender « les musiques et chants d'Algérie d'hier et d'aujourd'hui ». Précieux et minutieux dans ses consultations des généalogies musicales et ses appréciations des mouvements culturels et sociaux dans lesquels s'inscrivent ses arts par essence, contestataires, Miliani pense et développe sa recherche en citant abondamment les socles de ses sources, les contenus de celles-ci et les influences internes et externes qui s'y exercent. Il fait un travail de quête et d'enquête de terrain ici en Algérie et chez les générations transnationales en comptant principalement sur les avis des artistes praticiens (hommes et femmes), qui font de ce terrain leur espace d'écoute sociale et de création artistique privilégiées. il sait les écouter, mais surtout fait transcrire leur révolte et la malvie qui les fait réagir au sein « des cultures planétaires et des identités frontalières ». Un thème auquel il consacre un chapitre de cet essai de plus de 220 pages. Studieux, il intervient de manière intelligente dans les interrogations des lectures croisées et des « carrefours d'influence », sans jamais se départir de la rigueur académique, certainement pour dire où se trouve l'essentiel de cette « esthétique de la proximité et violence du texte »... Miliani sait hiérarchiser les rapports... Il sait surtout les situer dans leur contexte historique et social dans les multiples tourmentes qui les... alimentent depuis le début du XXe siècle jusqu'à aujourd'hui. Car Miliani a appris que pour être proche des pulsions de son sujet, il faut le vivre et le sentir sans tour d'ivoire de prof coincé ni prédication morales d'imam attardé... En écrivant les Sociétaires de l'émotion, il parle de styles d'expressions connus et peu connus, « de réseaux où se pratiquent ces musiques », mais il parle aussi de choses qui l'interpellent en tant que citoyen d'abord, de chercheur ensuite... Miliani fils du peuple né à Sidi el houari ne donne pas dans son livre-témoignage de recettes prêtes à penser. Il se contente d'enrichir la pensée quand il dit au terme de sa visite du terroir : « dans la plupart des études rassemblées, nous nous sommes efforcés de privilégier les territoires musicaux singuliers ou des expériences fondatrices pour suivre de près les jalons qui singularisent un procès, celui de la constitution du chant musical dans ses logiques de transmission des savoirs.... » Et croyez-nous, c'est grandement utile pour ceux que les certitudes dérangent. Sociétaires de l'émotion Dar El Gharb. Edition 2005