M. Ouassel Kheireddine est président de l'Association des industries du matériel électrique et électronique (Aimel). Cette association a fait de la lutte contre la contrefaçon son cheval de bataille. Et pour cause, la filière électrique et électronique fait partie des secteurs les plus touchés par ce fléau. Un mot sur votre association ? L'Aimel est une association qui regroupe les principaux fabricants de matériel électrique basse, moyenne et haute tension dans le pays. Elle été créée il y a cinq ans, en 1999 plus exactement. C'est une association professionnelle et non syndicale. Elle regroupe actuellement 70 entreprises algériennes publiques, privées ou étrangères de droit algérien. Ce sont des entreprises mères. Elle a pour mission de défendre les intérêts matériels et surtout moraux de ses membres. Elle est structurée en sous-filières car dans l'activité électrique il y a 7 filières qui sont chacune représentée dans cette association. Les 70 entreprises emploient 25 000 personnes et développent un chiffre d'affaires de 45 à 50 milliards de dinars. Votre filière figure parmi celles qui sont les plus touchées par la contrefaçon. Comment se présente la situation ? Toutes les industries du pays sont confrontées au phénomène de la contrefaçon. C'est un fléau qui ne concerne pas uniquement l'Algérie, il est international. A l'échelle mondiale, il représente quelque chose comme 7% à 8% du commerce mondial en moyenne, selon les estimations de l'OMC et de la Banque mondiale. Mais chez nous, il prend des proportions dramatiques parce qu'il dépasse de loin les 50%, toutes filières confondues. Dans notre filière, il dépasse les 60%. Dans le secteur du textile, il est à hauteur de 80% à 90%. Tant que ça touche le textile ou les produits cosmétiques, c'est-à-dire les produits de confort, ce n'est pas vraiment grave, ça peut être assimilé à un délit. Mais à partir du moment que ça touche la sécurité des biens et des personnes, ça devient criminel. Un produit électrique contrefait est un véritable danger de mort de la même façon que pour les médicaments contrefaits. Donc, dans notre filière, la contrefaçon n'est pas un délit, mais un crime dans le sens où elle peut atteindre la santé des personnes. L'exemple le plus dramatique, c'est celui du séisme de Boumerdès du 21 mai 2003 où des incendies se sont déclenchés du fait des mauvaises installations électriques. Celles-ci étaient probablement constituées de produits contrefaits. D'où proviennent les produits contrefaits ? Leur origine n'est pas algérienne. On a très peu de contrefacteurs en Algérie. On n'a ni les compétences, ni les qualifications, ni les marchés pour cela. Le bassin de l'importation, c'est l'Asie et la Turquie, le petit Moyen-Orient et l'Inde, qui représentent 70% de la production de contrefaçon. Mais comment expliquez-vous le fait que des produits contrefaits qui ne répondent pas aux normes soient introduits aussi facilement sur le marché algérien ? Ils sont introduits de manière frauduleuse, car il y a des complicités et des réseaux. Il y a une méconnaissance des responsables qui sont censés garder les frontières, la santé et la sécurité des biens et protéger la production nationale. Il y a aussi l'incompétence pour reconnaître les produits contrefaits. Il y a une espèce de mafia qui tourne là-dedans. Il est clair pour nous qu'il y a des marchés informels, 700, selon le ministère du Commerce, qui sont alimentés par la contrebande et donc la contrefaçon. Encore une fois, tant que ça touche un pull, un tricot ou des chaussures, ça passe, mais dès que ça concerne le médicament, l'électricité ou l'agroalimentaire, ça devient un crime. Avez-vous des chiffres sur l'ampleur du phénomène ? Dans notre filière, nous avons des chiffres assez précis, car nous suivons le dossier et nous nous intéressons aux statistiques douanières. Nous avons des estimations assez précises sur les besoins du marché. Globalement, sans distinction de sous-filières, la moyenne pondérée tourne autour de 60% à 65%. Il y a des filières qui sont touchées à 80% et d'autres à 50%. Notre filière basse tension (interrupteurs, prises, disjoncteurs et fils électriques) est touchée à hauteur de 80%. C'est en fait tout ce qui va avec les installations domestiques. Ce sont ces produits-là qui sont copiés ou contrefaits en Chine et en Turquie et présentés comme des produits de marques mondialement connues. Ils sont ensuite distribués au vu et au su de tous et à des prix qui n'ont rien à voir avec les prix réels du produit. Il en est de même de la qualité. Le produit offre le même aspect, mais pas la même fonction. Un disjoncteur devient plus un interrupteur qu'un appareil de protection. Est-il vrai que les produits électriques contrefaits ont fait plusieurs victimes ? Il y a eu 147 décès en 2002. Pour 2003 et 2004, nous n'avons pas de chiffres, mais ça doit être pareil, sinon davantage. Car le risque avec les produits électriques, c'est l'électrocution qui passe généralement inaperçue, car on met ça sur le compte de l'inattention au lieu de mettre en cause l'installation. L'électrocution domestique est un phénomène qui n'existe quasiment plus dans les pays développés et même chez nos voisins, car il y a une protection en amont avec les disjoncteurs. Or ceux importés et contrefaits n'assurent pas cette protection, car les matériaux utilisés pour leur fabrication sont défaillants. Comme les contrefacteurs essayent de réduire le coût le plus possible, ils n'utilisent pas les matières premières qu'il faut et qui coûtent cher. De cette façon, ils ont des produits vendus à des prix qui défient toute concurrence, mais qui ne remplissent pas leur fonction. Les prix de nos disjoncteurs sont de 180 à 200 dinars, alors que ceux que vous trouvez dans le marché informel sont proposés à 45 dinars. Près de 80% des disjoncteurs qui sont commercialisés sont contrefaits en provenance de la Chine. On met dessus Schneider, Siemens, Legrand et même nos produits sont contrefaits. C'est vrai que le consommateur, qui est un profane, ne peut pas s'en rendre compte, mais les commerçants, les importateurs, les installateurs et les techniciens savent parfaitement qu'il ne s'agit pas de produits originaux, donc ils sont complices. Là aussi, il y a une part de responsabilité de l'Etat dans l'octroi des marchés où on ne donne pas un cahier des charges très technique qui puisse interdire l'utilisation de ce genre de produits. Quelles sont les actions menées par votre association contre la contrefaçon ? Nous prévoyons des actions normatives, car, pour les actions répressives, nous n'avons pas les moyens de les faire. On va lancer des campagnes de dénonciation. Depuis trois ans, nous avons engagé un travail de concertation avec l'Institut algérien de la normalisation (IANOR) pour mettre en place des normes algériennes. On participe à tous les comités techniques de l'IANOR qui permettent d'élaborer des normes algériennes qui s'inspirent des normes internationales. Les normes, ça ne suffit pas, il faut les textes d'application et les textes de contrainte. Pour ces derniers, il y a la fameuse loi fondamentale de 2004 qui sera suivie ces mois-ci du décret d'application qui prévoit l'évaluation de la conformité des produits à travers des certificats qui seront délivrés par des laboratoires mondialement connus. Nous avons également sollicité un avocat, maître Haroun, qui maîtrise bien le sujet pour avoir traité depuis de longues années des affaires liées à la contrefaçon pour le compte de multinationales et dans lesquelles il y a eu de bons résultats, dont des condamnations pénales. Les importateurs de produits contrefaits ne sont pas identifiés en général... Si, on peut les identifier. Ils sont connus. Ils utilisent des prête-noms. Ils ne sont pas si cachés que cela. Dans le matériel électrique, je peux vous les citer. A El Hamiz, l'importateur, c'est un certain Hamza. Dans l'éclairage public et les câbles aussi bien que dans les interrupteurs, prises et installations industrielles, il y a un importateur à Constantine qui est connu. Il y a un réseau qui est bien connu et dont la couverture est une entreprise qui s'appelle Plastelec. Il y a aussi des importateurs à El Eulma. Ce sont des opérateurs qui bénéficient de complicités dans l'administration des Douanes et la Gendarmerie nationale et d'autres services. Avez-vous interpellé les autorités sur ce problème ? L'administration est sensible, mais le ministère du Commerce ne dispose pas de moyens humains et matériels, ni de dispositifs, ni de personnel qualifié pour faire face à ce fléau. Et puis nous avons un autre handicap, c'est l'immensité des frontières. On ne met pas en cause la compétence des Douanes, mais un agent de ce corps ne peut faire la différence entre un disjoncteur original et un autre copié. Il faut des laboratoires de contrôle de la qualité. Justement, au-delà des conséquences dramatiques sur les consommateurs, il y a aussi les répercussions économiques sur les entreprises. Qu'en est-il de votre filière ? Dans notre filière basse tension, le marché est estimé à 300 millions d'euros. Plus de la moitié, c'est la part de l'informel et la contrefaçon, soit plus de 150 millions d'euros. Regarder le chiffre d'affaires qu'il y a derrière et les intérêts qui vont avec. Les recettes fiscales, dans ces cas-là, sont quasi nulles. Ça a également porté un coup à l'emploi, car depuis quelques années, le secteur ne recrute plus, puisqu'il n'y a plus d'investissement. D'ailleurs, ça décourage les investisseurs étrangers et les véritables partenaires, car vous avez un marché qui échappe à tout contrôle.