Un quart de siècle depuis sa création, la Cour des comptes demeure peu connue. Elle n'arrive pas à faire parler d'elle, sinon peu. Pourtant, elle existe, travaille et élabore des rapports annuels sur la gestion des deniers publics, lesquels jaunissent, souvent, dans les tiroirs de la présidence de la République et du Parlement, les deux seules institutions qui reçoivent des copies de ces rapports entourés de secret, sans jamais les rendre publics. Seule exception : le rapport de 1995 et celui de 1996-1997 (deux années fusionnées dans un seul rapport) avaient été publiés dans le Journal officiel avec plus d'une année de retard. Liamine Zeroual, alors président de la République, avait décidé de publier ces rapports non pas de son propre gré, mais sous la pression de la presse nationale. Le Syndicat national des magistrats de la Cour des comptes parle de « vide juridique » existant dans la loi 90-20 datant de 1995 régissant cette institution. Dans une rencontre-débat organisée, hier, à l'hôtel El Djazaïr (Alger) à l'occasion du 25e anniversaire de la création de la Cour des comptes, le syndicat a bien mis l'accent sur le « blocage » dont souffrent les magistrats exerçant dans cette institution chargée, pourtant, de contrôler les dépenses publiques. Yahia Touati, auditeur de 1re classe de la chambre territoriale de Constantine, revient sur la non-publication des rapports annuels établis par la cour. Selon lui, il n'est pas précisé, dans les textes de loi y afférents, si la publication de ces rapports doit être faite par la Cour des comptes ou par le président de la République. Un véritable flou juridique ... Dans la loi relative à ses missions, il est clairement souligné que la Cour des comptes doit établir un rapport annuel qu'elle adresse au président de la République. Ce rapport doit reprendre les principales constatations, observations et appréciations résultant des travaux d'investigation de la cour, assorties des recommandations qu'elle estime devoir formuler. Intervenant à la même occasion, Saïd Chilla, conseiller à la 4e chambre, ira encore plus loin en se demandant quelle serait l'utilité de les publier, s'ils ne sont pas pris en considération et si le débat n'est pas engagé à propos de leur contenu. Saâd Eddine Benhalla, secrétaire général (SG) du syndicat, estime que « la cour vit une situation d'isolement et de marginalisation ». Pour étayer ses propos, M. Benhalla citera les nombreuses commissions installées où aucun magistrat de la Cour des comptes ne figure. Entre autres, la commission nationale sur la lutte contre la corruption et celle de bonne gouvernance. D'autres cas d'isolement sont cités par le SG du syndicat. « Nous n'avons pas été sollicités en vue de collaborer à l'élaboration de l'avant-projet de loi sur les salaires, celle concernant la retraite et le statut du greffier », a-t-il souligné. Pour lui, la mission de collaboration avec cette institution est « gelée ». « Nous ne savons pas et n'arrivons pas à comprendre pourquoi veut-on mettre en veilleuse cette instance juridique indépendante », a-t-il indiqué, avant enchaîner : « L'Etat a besoin de la Cour des comptes qui constitue un véritable instrument pouvant assurer la transparence budgétaire et la bonne gouvernance. » Belkacem Tellache, conseiller à la 6e chambre (la cour étant découpée en six chambres), soulève le manque de visibilité concernant la mission de contrôle tout en dénonçant la restriction des champs d'application de la cour. « On nous a expliqué cela par le risque d'entraver la mission des gestionnaires. Alors que le contrôle se fait a posteriori, après le dépôt de bilan », a-t-il précisé. Il soulèvera également le fait que les entreprises privatisées et celles liquidées ne sont pas soumises au contrôle de la Cour des comptes. C'est ainsi qu'aujourd'hui, les entreprises privatisées ne peuvent être jugées que sur la base du contrat de privatisation. M. Tellache n'hésitera pas à demander que ces deux derniers dossiers fassent partie du champ de compétence de la cour. Sur sa lancée, M. Tellache dira qu'en vertu de la loi 80-05, la Cour des comptes était un conseiller financier du président de la République. C'est dire l'importance de cette institution. « C'est un instrument d'information fiable et sincère », a-t-il souligné. A qui profite ce blocage ? Le SG du syndicat se montre plutôt pessimiste quant à l'évolution de la situation.« Aucun signe positif n'est à l'horizon. Nous sommes face à des contrariétés de tout ordre », a-t-il indiqué, avant d'évoquer la situation socioprofessionnelle des magistrats qui reste à la limite du dérisoire. « En dépit des mouvements de protestation, aucune prise en charge n'est à mentionner », a-t-il déploré, s'interrogeant sur la non-nomination des magistrats à cette institution par décret. Ainsi, il attestera qu'on confond la procédure de la nomination avec celle d'intégration. Au plan salarial, les magistrats de la Cour des comptes n'ont connu aucune amélioration depuis dix ans. « Une commission a été installée par le chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia. Depuis, celle-ci n'a pas donné signe de vie », a-t-il constaté. Du coup, le syndicat revendique toujours « la révision du régime salarial ». Il demande de mettre un terme « aux violations des dispositions statutaires » et dénonce « l'exclusion des magistrats de la Cour des comptes admis à la retraite du bénéfice des dispositions statutaires prévoyant l'application en leur faveur du même régime que celui applicable aux titulaires des fonctions supérieures ». En sus, le SG du syndicat ne comprend pas pourquoi depuis la création de la cour, l'effectif a peu évolué. « En 1976, on comptait 200 magistrats. En 1998, le nombre d'effectif avoisinait les 220 », a-t-il encore indiqué en revenant sur les problèmes liés à l'interprétation des textes de loi régissant l'institution.