C'est face à un petit comité que le dernier film Regard d'enfant du cinéaste algérien, Lamine Merbah, a été programmé, lundi, à la salle El Mougar. Quelques minutes avant le début de la projection, le cinéaste s'est adressé au public réduit. « Je ne vais pas parler du film, il est en lui-même une parole », commence-t-il avant d'évoquer la paralysie du cinéma algérien qui dure depuis plusieurs années, mais qui commence à renaître. Pour lui, la sortie de son film au lendemain de la fête du Travail sanctionne, justement, l'effort fourni par les travailleurs du son et de l'image. Au bout de quelques phrases, notamment adressées à la ministre de la Culture reconduite à son poste et présente parmi le public, Lamine Merbah ajoute : « Mon film ne m'appartient plus, c'est à vous d'en juger. » Regard d'enfant débute avec un plan du port d'Alger. Un homme, Amine, entre deux âges, débarque dans sa ville qu'il n'a pas vue depuis 35 ans. Une petite visite dans sa maison d'enfance le renvoie vers une autre époque, d'autres souvenirs, chargés d'un bonheur quiet et d'événements traumatisants pour l'enfant qu'il était alors. Amine avait tout au plus une huitaine d'années. L'époque, on la situe en 1956, à travers les pages d'un journal ouvert L'Echo d'Alger. Il se revoit dans cette maison où évoluent ses parents, sa grand-mère et sa petite sœur. La douce quiétude de la famille est bouleversée par la guerre, le mépris des colons, les exactions de l'armée française, les pleurs des mères dont les enfants, montés au maquis accomplir leur devoir envers la patrie, disparaissent ou sont jetés inertes devant le pas de leur porte. Des images d'archives, accompagnées d'une musique angoissante, se mêlent, ici et là, à celles du film. A l'indépendance, il a une quinzaine d'années. Il se revoit dans la rue, parmi la liesse populaire, porter bien haut et fièrement l'étendard de l'Algérie algérienne. Le jeu de Chafia Boudraâ, dans le rôle de la grand-mère, est extraordinaire de par son naturel et la grande émotion qu'elle dégage tout au long du film. Et celui de Adel, dans le rôle du petit Amine, est tout aussi intéressant de par sa sobriété et la sérénité qui se lit sur son doux visage. Regard d'enfant, adapté du roman d'Yves-Marie Renard, dévoile une partie de la vie du cinéaste, à travers des plans simples, des fondus enchaînés, aux couleurs délavées. Quelques éléments intrus révèlent la difficulté, de nos jours, à trouver des décors d'époque. Le béton a transformé les vieux quartiers coloniaux. Et les bonbons d'aujourd'hui ont remplacé les douceurs de cette époque si lointaine. Cependant, certains plans, qui semblent avoir été ratés, donnent une dimension défraîchie recherchée. Telle que l'avant-dernière scène de fantasia dont la lumière claque, mais paraît réellement sortir du début du siècle dernier. Par-dessus tout, ce qui retient l'attention réside dans le courage de Lamine Merbah qui, malgré sa maladie handicapante et après une longue absence des plateaux de tournage, a réussi à nous livrer une émotion compacte dans une attendrissante fiction. Chapeau bas... !