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L'homme qui revient de loin
LAMINE MERBAH-CINÉASTE SUR LE RETOUR APRÈS SA TRAVERSÉE DU DESERT
Publié dans El Watan le 26 - 08 - 2004

« Tout vient à point à qui sait attendre » Proverbe populaire
Merbah serait-il le dernier des Mohicans ? Contre vents et marées, il continue, vaille que vaille, de tourner des films, au moment où bon nombre de ses pairs ont baissé les bras devant la situation de désolation du 7e art dans notre pays. Peu de salles il y en avait 350 à l'indépendance, il n'en reste plus qu'un dixième des circuits squelettiques des films au compte-gouttes et un public cinéphile qui se rétrécit comme une peau de chagrin.
Merbah a-t-il plus de courage que les autres, cultive-t-il le paradoxe ou est-il tout simplement fou... de la caméra ? « C'est un moment de plaisir que de tourner et personne ne peut m'enlever cette passion », répond-il avec calme et assurance. D'ailleurs, il ne conçoit pas son métier sans ces qualités. On a pu nous en rendre compte à Douaouda où il a planté ses décors pour Regard d'enfant d'après le roman de Yves-Marie Renard. « J'ai lu le livre et je m'y suis reconnu quelque part », avoue-t-il. De quoi s'agit-il ? « J'avais huit ans quand les hostilités ont commencé en Algérie et que l'option pour la lutte armée est devenue un mot d'ordre, lit-on dans le synopsis. J'en avais quinze lorsque le drapeau algérien s'est mis à flotter sur la ville. C'est donc avec le regard d'un enfant que j'ai vécu le drame algérien. Un enfant regarde et vit la guerre à sa façon. Il n'en connaît pas tout à fait les causes, n'en perçoit pas le déroulement chronologique, ne comprend pas tout, mais il flaire ce qui change chez ses parents, ses amis, ses maîtres et ses voisins, puis il synthétise lentement le processus et finit par l'intégrer. » D'un côté, il y avait les colons, ceux qui de longue date détenaient avec arrogance un pouvoir sur les « Arabes », ceux qui n'hésitaient pas à nous dénommer « bougnoules » et qui possédaient en toute légimité des terres immenses, sans se soucier ni du processus d'acquisition ni des frustrations que leurs comportements engendraient... C'est sans doute sous la double influence de son père Si Moulay, proche collaborateur de Messali Hadj, mais dont la fonction d'homme de loi l'amenait à arbitrer les conflits entre les hommes, généralement à propos du foncier, et d'un environnement naturel austère, pour ne pas dire hostile marquant la plupart des villes de nos Hauts-Plateaux, que Lamine a puisé ses thèmes au dénominateur commun : la terre. C'était dans les années 1970, et la révolution agraire qui était dans l'air du temps a encore conforté notre cinéaste dans ses certitudes. Aujourd'hui, Lamine garde la même nostalgie vis-à-vis de ses œuvres, mais a changé de registre. Le cinéma, sa passion Rêve d'enfant en est la parfaite illustration qui tranche avec Les Spoliateurs, Les Déracinés ou Les Révoltés même si l'on y retrouve quelque part, la même trame...Mais avant d'aborder les films, parlons du cinéaste. Né à Tighenif où son père exerçait, Lamine a passé toute son enfance à Ksar Chellala, terre de ses parents où il a appris à vivre. Il y restera jusqu'à l'adolescence avant de rejoindre le lycée Bencheneb de Médéa, le seul pour tout le Sud algérien, où notre homme décrocha avec brio son bac, au lendemain de l'indépendance. Son diplôme en poche, Lamine avait l'embarras du choix dans un pays où tout était à construire. Mais sa passion pour le cinéma était plus forte, alors c'est sans surprise qu'il intégra l'Institut du cinéma, qui venait d'être créé en 1964 avec la collaboration des Polonais qui ont encadré la première et unique formation de cinéastes algériens postindépendance. « Cet institut, et c'est dommage, a vécu le temps d'une seule promotion », regrette-t-il aujourd'hui non sans se remémorer les bons moments passés dans ce lieu de culture qui l'a façonné. C'est le début d'une longue carrière qui commencera par des stages pratiques à la TV polonaise. « En 1968, je suis rentré à la télévision algérienne, en compagnie de bon nombre de cinéastes comme Sid Ali Mazif, Mohamed Ifticène, etc. » « Ma première expérience, je l'ai faite dans le documentaire. En fait, une série de petits films retraçant les problèmes que vivait l'Algérie de l'époque, notamment les problèmes de la paysannerie. J'ai sillonné toute l'Algérie, pour cerner tous les problèmes liés à la terre. Cela a influé sur ma formation et partant sur ma filmographie », résume-t-il. Mais Lamine ne voulait pas s'arrêter là. Adepte de la perfection, il voulait plus. « Sachant qu'il me manquait quelque chose, j'avais la technique cinématographique, mais il restait un élément capital : comment aborder les problèmes sociaux, les disséquer et les comprendre. Je me suis donc inscrit à l'université d'Alger, pour faire une licence de sociologie. Cela m'a permis de mieux cerner les problèmes traités, ceux de la société algérienne en général. A partir de là, j'étais mieux armé théoriquement, techniquement et pratiquement. » Cette avancée dans les connaissances lui a permis de faire une kyrielle de films tout aussi évocateurs les uns que les autres autour du thème de la terre que Lamine voulait à tout prix de comprendre. Comment celle-ci a été colonisée, partagée, spoliée... ? Ayant horreur des démarches simplistes, il dit que « cette formation sociologique lui a permis d'aller profondément dans les entrailles de la terre et comprendre les liens charnels qui existent entre celle-ci et les paysans ». D'ailleurs, Lamine estime avoir fait des films utiles pour expliquer pourquoi il fallait donner la terre aux paysans. Ce n'était que justice. Aujourd'hui, ses convictions n'ont pas changé d'un iota. A la question de savoir pourquoi faire des films alors que rien ne l'y encourage, Lamine, tout en admettant l'absence de salles et de distribution, se cramponne à ce qui captive actuellement le grand public : le petit écran. Alors notre cinéaste se surprend à louer les mérites de cette lucarne ouverte sur le monde : « Fort heureusement, il y a la télé qui absorbe un public énorme. Il y a la parabole qui nous inonde de ses programmes, hélas ! pas tous recommandables. Mais il faut positiver. A travers la TV, nous aussi, nous pouvons exporter nos produits à l'étranger. Si le film algérien est de qualité, il peut être vu partout. C'est un atout. De toute façon, moi je ne me leurre pas. La seule possibilité, actuellement, pour le public de voir un film, c'est qu'il passe à la télé, alors autant travailler avec la télé. » Dans son parcours professionnel, Lamine a fait de la gestion en présidant aux destinées de l'ENPA. En évoquant cette période, le ton change, le visage devient plus grave, comme si on avait exhumé un quelconque démon. C'est dire que l'ENPA a laissé des traces. « On m'avait demandé, vu mon expérience, de prendre en charge cet organisme en veillant à mettre en place tout ce qui manquait au cinéma algérien, c'est-à-dire les labos, les studios, les locaux pour les accessoires et les décors. On a formé des jeunes mais je ne parle pas de cette expérience. Car après, bien après, quand je suis tombé malade, lorsque l'ENPA a sombré, j'ai vu 6 ans de ma vie partir comme ça en fumée. Aujourd'hui, à l'heure des bilans, qui sont en fait les films que j'ai faits, je me dis au fond de moi-même, mes films personne ne peut les mettre par terre. Ils sont là, ils existent. C'est pour cela que j'ai tendance beaucoup plus à parler de mes films que de gestion. » La même verve malgré les vicissitudes de la vie Comment Lamine a-t-il vécu sa traversée, synonyme d'un mal qui l'a maintenu immobilisé durant de longues années ? On a craint le pire pour lui, mais Dieu merci, il a su surmonter les vicissitudes de la vie. « J'ai eu une maladie assez compliquée, très handicapante qui ne permet pas de travailler. J'ai dû garder le lit, à la maison, durant de longues années, c'est une pathologie rare, qui vous ôte 80 % de vos capacités. De 1994 à 2000 j'ai dû rester à la maison, ne me déplaçant que rarement. Ce n'est que durant l'année 2000 que la recherche a mis au point un nouveau médicament qui permet de supporter. J'ai pu recouvrer 60 % de mes capacités. » Même s'il s'appuie sur une béquille, la verve est toujour la même et le verbe aussi précis lorsqu'il s'agit d'orienter ses acteurs qui n'en disent que du bien. On est loin des réalisateurs impulsifs et coléreux qui, pour un oui ou un non, mettent en émoi tout l'entourage. Pour Lamine, « un film, c'est une partie de plaisir. C'est pénible et fatigant mais si on s'entête à le faire, c'est qu'on aime son métier et qu'on affectionne l'histoire racontée... » Loin d'être un Don Quichotte des temps modernes, Lamine fait savoir qu'il n'est pas seul dans le domaine. « Il y a des cinéastes qui se battent et auxquels je tire chapeau. Comme Fezzaz que Dieu ait son âme, Hadjadj et beaucoup d'autres. Le privé ne veut pas investir dans le cinéma. Chez nous, le capitalisme est né avec un esprit commerçant de bas niveau. On investit le matin pour espérer récolter le double le soir. Cela n'est valable que dans la spéculation. » Pour expliquer les « misères » du septième art chez nous, Lamine se livre à des questionnements en espérant y trouver des réponses. « L'Etat a-t-il pour mission de construire des salles de cinéma ? Pourquoi n'y a-t-il pas de gens friqués qui investissent dans ce créneau ? » « Nous sommes partis, assène-t-il, avec un cinéma socialiste d'Etat avec ses fonctions sociale, culturelle et éducative. Le salariat a tout bousillé avec les règles du SGT qui a fonctionnarisé les créateurs tant et si bien que des réalisateurs de talent se retrouvent au même niveau, sinon moins que des tocards qui n‘ont jamais rien fait et qui se retrouvent réalisateurs par la grâce de l'ancienneté.Tenez-vous bien, on s'est retrouvés avec des réalisateurs de première catégorie, qui n'ont jamais fait de films dans leur vie. Ne trouvez-vous pas cela aberrant ? » A l'inverse, certains films algériens ont eu une notoriété qui a dépassé nos frontières, à l'image de la Bataille d'Alger, qui contre toute attente, quarante ans après, suscite curieusement l'intérêt des Américains notamment. A ce propos, Lamine n'y va pas de main morte pour stigmatiser les amalgames. « Lorsque les Algériens parlaient de leur révolution à travers le film, c'était une espèce de génie de la résistance populaire qui a montré son efficacité et qui a fait mal à l'ennemi. A cette époque-là, on nous méprisait et on ne voulait pas entendre parler de nos luttes. Aujourd'hui, certains veulent faire le parallèle avec l'Irak, alors que c'est faux. Décidément, la phrase du général Giap est
toujours d'actualité. L'impérialisme américain est un mauvais élève... »
Parcours Naissance en 1946 à Tighenif. Etudes primaires à Ksar Chellala (w. Tiaret), secondaire au lycée Bencheneb de Médéa (interne). Institut du cinéma d'Alger (1964-1967), stages à Varsovie (1968). Licence de sociologie à l'université d'Alger (1970-1973) : Films réalisés :
Les Spoliateurs (1972), Les Révoltés (1975) Les Déracinés (1977), La Conversation (1983), Du Fond du cœur (1985), Radia (1992).
Directeur général de l'ENPA (1988-1995). Lamine Merbah, à cause d'une méchante maladie, a dû garder le lit durant de longues années (1995-2001).
En 2002, il reprend la caméra pour réaliser un feuilleton (Le Miroir brisé).
En 2004, en collaboration avec l'ENTV, il tourne Regard d'enfant dont les principales séquences se déroulent à Douaouda.


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