Le magicien de l'Angleterre moyenne a perdu sa touche et mis l'élection en danger. Il doit partir et très vite », écrit l'une des commentatrices les plus respectées de la presse britannique dans le Guardian d'hier, Polly Toynbee, à propos du Premier ministre Tony Blair. Elle estime toutefois que ce départ du chef du gouvernement britannique doit intervenir au lendemain des élections législatives qui se tiennent aujourd'hui en appelant les électeurs travaillistes à voter en masse pour leur parti afin d'évincer Tony Blair et le remplacer par son chancelier à l'échiquier, Gordon Brown. Qu'est-ce qui donc attise la colère des électeurs contre Tony Blair ? Chaque membre du Parlement en campagne électorale a entendu le même refrain : « Non. nous ne voterons pas pour Tony Blair. » Polly Toynbee explique qu'« elle-même a été surprise par la haine et le mépris ressentis à l'encontre de Blair. Ce n'est pas seulement au niveau de la classe politique, mais partout à travers le pays ». Bref, tout le monde lui en veut. Pour avoir conduit le pays dans une guerre illégale contre l'Irak, pour sa conduite des affaires du pays menée autour de quelques amis et conseillers qui n'ont pas été élus et sans consultation des membres de son cabinet et, surtout, pour son arrogance et son refus de demander pardon à la nation pour sa croisade contre Baghdad. Par conséquent, les électeurs sont face à un dilemme éprouvant : comment voter pour le Labour Party sans que cela soit compris comme un désir de reconduire Tony Blair à la tête du parti ? Comment punir Blair sans punir le Labour Party (parti travailliste) ? De nombreux électeurs souhaitent une majorité travailliste réduite de moitié, en portant leur voix sur les démocrates libéraux dans les circonscriptions où un vote sanction contre le Labour Party ne risque pas de permettre au Parti conservateur de remporter le siège mis en jeu. Ils estiment qu'ils feraient comprendre au parti que ses électeurs ne veulent plus de Tony Blair. Pour sa part, le Labour Party joue la carte de la peur en mettant en garde ses électeurs que si un électeur sur dix qui a voté pour lui lors du dernier scrutin de 2001 portait sa voix sur les démocrates libéraux, la voie serait ouverte au Parti conservateur pour revenir au pouvoir après y avoir été écarté depuis 1997. Cette tactique a été rejetée par les analystes. D'autre part, tous les sondages d'opinion publiés au cours des trois derniers mois ont donné des avantages au Labour Party, entre 1% et 10%. Le Labour Party a beau rappeler aux Britanniques que jamais le pays n'a connu une croissance économique aussi soutenue, un taux de chômage et des taux d'intérêt les plus bas de l'Union européenne, une stabilité socioéconomique jamais égalée, rien n'y fait. Il a beau rappeler, à juste titre d'ailleurs, que les travaillistes ont procédé à la plus grande redistribution des richesses de l'histoire du pays, investi lourdement dans les secteurs de la santé et de l'éducation, les électeurs ne semblent retenir que le fait que Tony Blair a conduit le pays à la guerre contre les souhaits de la grande majorité des Britanniques, qu'ils soient de gauche ou de droite. Une bonne partie des électeurs travaillistes refusent d'« oublier la guerre contre l'Irak et de regarder de l'avant », comme le demande Tony Blair. « C'est un chantage que je rejette », note Roy Greenslade, un autre commentateur respecté dans les milieux de la presse londonienne. « Pas de vote pour un criminel », affirme-t-il dans les colonnes d'un journal, avant d'ajouter : « En dépit de toutes ces turpitudes, il est clair que le Labour Party se dirige vers une troisième victoire électorale historique jeudi (aujourd'hui), la première du genre, en ce XXe siècle. Mais avec quelle majorité ? Même si Blair gagne avec une majorité significative, c'est un homme fini », note Polly Toynbee. « C'est désormais un homme du passé. A deux heures du matin, vendredi, après la sortie de la première vague de résultats, la seule question qui sera posée est : quand partira-t-il ? »