Comme prévu, le Parti travailliste de Tony Blair a gagné jeudi les élections législatives pour la troisième fois consécutive, une victoire historique et sans précédent dans l'histoire du parti, mais à quel prix. La majorité du Labour Party au Parlement a été réduite de 167 à 60-70 sièges selon les derniers chiffres publiés hier matin, soit une baisse de l'ordre de 60 à 70%. Les travaillistes bénéficieront ainsi de 353 sièges sur 646 à la Chambre des communes, loin devant le principal parti d'opposition, le Tory Party (Parti conservateur) dirigé par Michael Howard, avec 195 sièges, et les libéraux démocrates de Charles Kennedy, avec 60 sièges. Les sièges perdus par les travaillistes l'ont été en grande partie au profit des libéraux démocrates qui s'étaient prononcés contre la guerre en Irak, et très peu au profit du Parti conservateur qui avait voté en faveur de la guerre et dont la position par rapport aux deux derniers scrutins n'a pas connu de changements radicaux. La preuve cinglante de ce vote-sanction au profit de tierces parties a été illustrée par la victoire de George Galloway et son parti Respect, dans la circonscription à forte concentration musulmane de Bethnal Green and Bow, dans l'est de Londres, où il a battu la députée sortante Oona King, qui avait voté pour la guerre en Irak. Galloway avait été expulsé du Parti travailliste pour avoir condamné l'attaque contre Baghdad et décrit Tony Blair de « criminel de guerre ». Les analystes avaient prévu un tel scénario, estimant que c'était là une manière de punir Blair pour avoir entraîné le pays dans la guerre de George Bush contre l'Irak, sans punir le Labour Party. L'électorat travailliste veut en finir avec celui que l'on a surnommé le « poodle » (caniche) de Bush, le « menteur », l'« arrogant ». Pour tout cela, Blair a perdu la confiance des Britanniques qui lui ont donc montré qu'ils ne veulent plus de lui aussi bien à la tête du parti que du gouvernement. Dans son éditorial d'hier, le journal The Guardian écrivait qu'« il n'existe aucun doute que les historiens se rappelleront que l'élection de 2005 aura été l'élection de l'Irak. De nombreux électeurs ont voté contre le refus de Blair d'écouter le peuple au sujet de la guerre contre l'Irak et décidé de l'abandonner ». Du coup, toutes les spéculations ont commencé hier matin sur le moment où Tony Blair devra passer le flambeau à son chancelier de l'Echiquier, Gordon Brown. Ce dernier jouit d'une popularité immense au sein de l'électorat en général, et travailliste en particulier, pour avoir adopté un profil très bas dans les semaines qui ont précédé la guerre contre l'Irak et été l'architecte de la plus grande stabilité économique des 100 dernières années et des taux de chômage et d'intérêt les plus bas que le pays ait jamais connus. Les analystes estiment que le locataire du 10 Downing Street pourrait se désister en faveur de Gordon Brown au mois d'octobre prochain lors du congrès du parti ou, au plus tard, avant les élections locales du mois de mai prochain. Ainsi donc, l'homme qui a aidé à bâtir le New Labour Party après plus de 18 ans de traversée du désert, le transformant en une formidable machine électorale qui a gagné trois scrutins consécutifs, en un parti jeune, moderne et attractif, est aujourd'hui le seul homme à blâmer pour tous ces sièges perdus. La grande consolation, cependant, pour les électeurs britanniques, c'est que leur pays s'est définitivement ancré à gauche. En effet, une combinaison des sièges du Parti travailliste et des libéraux démocrates au Parlement consolide la tendance sociale-démocrate du pays et enfonce un peu plus la droite représentée par les conservateurs, dont la campagne électorale a été l'une des plus racistes jamais égalées, jouant sur la peur et les instincts primitifs des Britanniques sur des sujets de l'immigration, la loi et l'ordre et les demandeurs d'asile. Pour que cet ancrage à gauche devienne permanent, Tony Blair doit céder sa place à Gordon Brown. Le plus vite sera le mieux.