Diverses autres approches ont été développées mardi, deuxième jour du colloque international sur Abdelkader Alloula, par des conférenciers nationaux, français et égyptiens. Philippe Tancelin, de l'université Paris VIII, qui dit enseigner Alloula, récuse la philosophie de « la fin de l'histoire », les idéologies et la mise à l'écart du concept de la lutte des classes et considère que l'œuvre d'Alloula ne cesse de nous interpeller aujourd'hui encore, y compris en Occident. Le lien avec le poète Pasolini n'est pas fortuit car, déplorant aujourd'hui la théâtralisation de l'action politique (et la menace du libéralisme), il oppose l'art comme « pratique où s'abreuve l'imaginaire populaire ». Son compatriote, Jean-Pierre Jourdain, qui lui succède, est de la Comédie française. Très succinct, il évoquera l'expérience menée avec Nedjma de Kateb Yacine en 2003. Et, compte tenu de la réputation exceptionnelle dont jouit Alloula, il dit être plutôt venu pour écouter et puiser les vraies raisons pouvant inciter à monter ses pièces ou à s'en approcher. Du TNA, Ziani Cherif Ayad a insisté sur la nécessité de faire vivre les œuvres du répertoire du théâtre algérien. Hormis la nécessité de publier les œuvres, il s'est interrogé sur l'installation d'un tabou qui fait que les metteurs en scène hésitent à monter des pièces déjà produites. Il interpellera, cependant, les universitaires pour donner des clés de lecture afin de faire connaître les multiples dimensions des textes . Il suggère ainsi tout simplement de dépasser les questions linguistiques. De l'université d'Oran, Anoual Thameur, qui a dit intervenir en amatrice, a tenté de démontrer que la réalisation par Alloula d'Arlequin, valet des deux maîtres, n'était pas circonstanciel (bicentenaire de Goldoni). De l'université d'Oran, Ahmed Azzouz a proposé une lecture pragmatique du théâtre de Alloula. Il prendra le soin auparavant de considérer que l'artiste est celui qu'on ne peut pas réduire dans un moule. Il reviendra également sur le fait que, comme dans son théâtre, le dire du dramaturge algérien est toujours suivi de l'acte. Abdelhamid Haouas, professeur à la faculté des arts du Caire, s'est attardé sur la technique de narration qui caractérise El Halka pour évoquer des pratiques populaires similaires entre le Magreb et l'Orient. Le génie de Alloula Pour l'Egyptien, le génie d'Alloula est d'avoir porté, par un long processus de compréhension, des éléments de l'art traditionnel de son pays vers des cimes poétiques d'une rare beauté. C'est aussi d'avoir proposé une autre définition du théâtre dans un espace géographique (l'ensemble du monde arabe) où, précise-t-il, le drame, dans son acception européenne, n'a pas été développé. Lakhdar Mansouri, de l'université d'Oran, s'est intéressé à la mise en scène et au langage des signes et accessoires utilisés dans Ladjouad. La pièce a été filmée par l'ENTV et les images ont été exploitées pour tenter de démontrer qu'Alloula était déjà sur le seuil d'un théâtre de type nouveau. Le décor, les accessoires (notamment la canne), les costumes et leur signifiants psychologiques, l'interprétation et l'expression des visages ont été décortiqués. Mais ce sont surtout les dédoublements des actions (comme s'il s'agissait de commenter instantanément un fait de scène) et la double fonction narrateur/acteur qui ont constitué la particularité de la mise en scène. C'est d'ailleurs cette technique qui a été utilisée par la troupe Ibdae (avec Rihab, la fille du dramaturge), qui a interprété, en clôture au TRO, l'œuvre Homk Salim qu'Alloula avait jouée seul sur scène à la fin des années 1960. Cette pièce, considérée comme une œuvre maîtresse, a été analysée par Abdelkrim Ghribi de l'université de Mostaganem, notamment pour insister sur la difficulté d'une telle adaptation du Journal d'un fou de Gogol. Il part d'abord du titre pour relever que le prénom Salim désigne étymologiquement plutôt quelqu'un de sain. Le fou d'Alloula (qui s'est pourtant beaucoup documenté sur la vie de l'auteur et l'environnement qui ont précédé l'émergence de cette œuvre) l'est seulement d'une certaine manière. Il montre alors comment Alloula a été amené à moduler les situations et les rapports entre les personnages pour les rendre accessibles à son public, tout en restant à la fois fidèle au récit original et à son propre projet. Tayeb Menad, de l'université de Mostaganem, est revenu sur la trilogie pour s'interroger sur sa lecture et le public de l'œuvre qu'il situera dans l'espace civilisationnel arabo-musulman. Jean-Yves Lazennec a été le dernier à intervenir. On lui doit la première mise en scène des Généreux (Ladjouad) pour un public français. Ainsi, hormis la parité qui a caractérisé ce travail (trois des six comédiens étaient algériens), ce metteur en scène a d'abord fait appel à sa propre expérience pour décortiquer les deux traductions dont a fait l'objet la pièce. « Partager ce qui peut être n'allait pas de soi d'emblée... », résume-t-il une expérience d'autant plus poignante qu'elle même humour et politique et qui a fini par se généraliser relativement avec la mise en espace des Dires (El Goual) et des Voiles (Litham). Comme en 1999/2000, il y a eu la surprise de la découverte de cet incroyable rapport public/comédiens, l'interprétation émouvante de Homq Salim a suscité au TRO le même engouement, mais peut-être pas le même enthousiasme.