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Le dernier des dinosaures
Kader Firoud. Premier entraîneur de l'équipe nationale de football
Publié dans El Watan le 12 - 05 - 2005

Le seul sport que j'ai pratiqué, c'est la marche à pied, quand je suivais les enterrements de mes amis sportifs (SHAW ).
Avec la disparition, il y a un mois, de Kader Firoud, c'est un des derniers dinosaures qui tire sa révérence. Kader compte, en effet, parmi les doyens des entraîneurs français, mais aussi l'un des plus écoutés. Il symbolisait à lui tout seul le Nîmes Olympique de la grande époque. Il avait 85 ans. Dans le lot des footballeurs algériens, Firoud a sans doute eu la carrière la plus atypique. Joueur de talent, il fit ses classes à Oran, au sein de l'illustre USMO puis au Mouloudia d'Alger avant de se baser en France, où il passera plus de la moitié de sa vie. Retiré près de Nimes, il coulait une retraite paisible, après avoir joué puis entaîné durant dix-huit saisons le Nîmes Olympique entre 1948 et 1978. Il est passé par Toulouse et Grenoble pendant la guerre puis a évolué trois saisons à Saint-Etienne (1945-1948). Transféré, il participa ainsi à la remontée de Nîmes en divison une (1950) mais un accident de la route, le 5 juillet 1954 sur le chemin du retour de la Coupe du monde en Suisse, l'obligera à arrêter prématurément, sa carrière, blessé à la jambe. Il devient alors entraîneur des Crocos le 13 juin 1955 et gagnera le seul trophée des Rouge et Blanc, la Coupe Drago (1956). Au total, il a à son actif 782 matchs dirigés en division une. Seul Guy Roux réussira à faire mieux. Avec sa marche bancale, sa silhouette ne passe pas inaperçue. A la veille du match décisif pour la qualification en Coupe du monde, contre le Nigeria à Constantine, en 1981, il était venu pour supporter l'équipe algérienne mais aussi pour superviser son élément Mansouri, qui jouait à Montpellier. On se souvient de ses propos fort sentencieux : « L'Algérie terre de football ne peut rester à la traîne. Il lui faut un coup d'éclat pour se faire admettre parmi les nations avancées dans ce sport si merveilleux. Je pense que la Coupe du monde est un excellent tremplin pour se faire entendre », avait-il suggéré. Quelques semaines plus tard, l'Algérie accédait à son vœu et faisait une entrée fracassante dans la plus enviée des compétitions mondiales.
Firoud l'instit
C'est que Kader savait de quoi il parlait. Quelques années plus tôt, on le fit venir à Alger, précisément au lendemain de l'indépendance, pour lui confier le poste de directeur des sports. Il n'y fit pas de vieux os. C'est que l'homme est à cheval sur les principes. Confiné dans des tâches administratives, il dut encaisser les coups avant de jeter l'éponge. Les anciens se souviendront de ses coups de gueule. « Je ne suis pas là pour surveiller les couloirs où faire le gendarme. Je suis un homme de terrain et ma place est sur le terrain, pas derrière un bureau. » Qu'à cela ne tienne ! On lui confiera l'équipe nationale avec laquelle il n'ira pas très loin. Mais c'est surtout en sa qualité de technicien qu'il se fera connaître davantage. Maouche Mohamed, membre de l'équipe FLN, reconnaît les mérites de Firoud, sous la conduite duquel il a effectué plusieurs stages au CNEPS, au milieu des années 1960 « Kader, se souvient-il, était un homme de poigne. Il ne transigeait pas avec la discipline. Ces connaissances en football étaient très fournies et puis n'oublions pas qu'il était parmi les patrons du foot français avec les Batteux, Nicolas, Snella, Pibarot... En tant qu'ancien joueur, il savait faire passer les messages. Sa qualité d'ancien instituteur l'avait sans doute aidé dans ce métier, car il savait avec pédagogie et tact communiquer. » Khabatou qui l'a côtoyé dans les années 1940 au MCA garde de lui l'image d'un perfectionniste qui aimait le foot par-dessus tout. C'était un artiste dont la carrière a été stoppée par un accident. En tant que technicien, Kader a fait aussi ses preuves et sa longévité au sein d'un seul club est là pour le prouver. Prié, il y a quelques mois, de livrer ses impressions sur le football algérien, Kader est allé droit au but. « Vous savez, le foot est devenu un enjeu universel qui ne peut s'accommoder de bricolage. Le foot algérien est moribond, sinon on l'aurait vu dans les grandes compétitions internationales. Cela fait mal au cœur. Dans le foot moderne, il n'y a pas de place à l'à-peu-près. Je crois qu'en Algérie, on se contente de demi- mesures. On ne va pas assez au fond des choses. Si l'on veut réellement réussir, il faut tout professionnaliser et bannir une fois pour toutes la mentalité d'amateur. » L'entraîneur a été parfois critiqué pour ses méthodes. Pourtant Firoud n'est pas du genre à compliquer un sport qui reste par essence un jeu. N'est-ce pas lui qui a dit : « Le football est un jeu simple o, développer une attaque, c'est savoir porter la supériorité numérique dans un endroit du terrain. »
Une leçon d'éternité
C'est parce qu'il a toujours considéré le foot comme un jeu qu'il l'en a fait presque une philosophie. « Dans ce domaine, je n'ai de leçon à recevoir de personne. J'ai duré parce que j'ai pris du plaisir », concède-t-il. En équipe de France où il comptabilise 6 sélections, Kader n'a connu qu'une défaite contre la Suède (0-1) le 26 mars 1952. Il a évolué contre l'Angleterre (2-2), le 3 octobre 1951 ; contre la Suisse à Lausanne (1-2), le 14 octobre 1951 ; contre l'Autriche (2-2), le 1er novembre 1951 ; contre le Portugal (3-0, le 20 avril 1952 et face à la Belgique (1-2), le 22 mai 1952. L'engagement, la dépense physique et l'amour du maillot sont autant de principes que cet ancien instituteur a toujours voulus inculquer. Mais les choses ont changé, et la nostalgie n'est plus ce qu'elle était. Kader en est conscient, il est aussi fier du parcours de son équipe Nîmes en coupe de France. « Ça titille mon ego, je suis fier, car Nîmes est une partie de moi-même », confiait-il récemment. Sur un autre plan, Firoud regrette le temps passé. Interrogé sur les capacités actuelles du club, l'ancien entraîneur n'y va pas par quatre chemins pour dénoncer certaines pratiques. « Les valeurs du club se sont petit à petit étiolées. Nîmes n'avait pas les moyens de la politique actuelle. L'argent a remplacé le cœur. C'était à la mode dans le football à cette époque-là. Au lieu de miser sur les stars, il aurait fallu poursuivre dans la voie de la formation, notre tradition. On a raconté des histoires aux gens ! Ce parcours en coupe de France me donne beaucoup de regrets. Cela montre ce que nous n'aurions jamais dû cessé d'être. Il faut aujourd'hui sauver ce qui peut l'être, redéfinir une politique cohérente, stable, en fonction de nos moyens humains et financiers. Nîmes doit redevenir un club sain. Dans le milieu, on le voit, seuls les clus sains s'en sortent et finissent par gagner quelque chose. Regardez Auxerre. Retiré depuis le milieu des années 1980 dans un petit village près de Nîmes, il coulait une retraite paisible au pied des ceps après avoir embrassé la viticulture avec délice. Cela ne l'empêche pas d'être à l'écoute du football, et les techniciens de l'Hexagone et d'ailleurs n'hésitent pas à venir lui demander conseil sur les stratégies ou les tactiques. » Peu avare, cet entraîneur charismatique prodigue ses conseils sans retenue. « Le foot m'a tout donné.Je lui suis redevable .Je ne vois pas pourquoi je m'arc-bouterais sur mes acquis que je garderai pour moi seulement. L'égoïsme n'est pas ma tasse de thé. Ce que j'ai reçu tout au long de ma carrière, je suis en devoir de le transmettre par tous les moyens. Sinon ma carrière aura été vaine », lance-t-il avec philosophie au journal local qui s'inquiétait du fait que la rupture avec le football n'allait pas produire une brisure dans sa vie. « Vous savez, le foot coule dans mes veines. Je suis né pour le foot, et je ne m'en séparerai jamais. Mais il y a un moment où il faut savoir arrêter et passer le flambeau aux nouvelles générations ».
Parcours
Né le 11 octobre 1919 à Oran, Kader Firoud débute en 1935 dans le club de sa ville natale. L'US musulmane d'Oran. Après avoir évolué au Mouloudia d'Alger, il rejoint en 1942 la métropole et le club de Toulouse. En 1945, il porte le maillot vert de l'AS Saint-Etienne pendant trois saisons avant de rejoindre son club de cœur Nîmes Olympique. Ancien attaquant reconverti en milieu de terrain, il honore à 32 ans, la première de ses six sélections sous le maillot bleu, le 3 octobre 1954, contre l'Angleterre. Il marquera un but... contre son camp. Victime d'un grave accident de voiture, il doit mettre un terme à sa carrière de joueur en 1954. Devenu entraîneur des Crocodiles du Nîmes Olympique, il mène notamment la formation gardoise deux fois en finale de la coupe de France en 1958 et en 1961. Il est entraîneur de l'équipe nationale algérienne au lendemain de l'indépendance où il occupe également la fonction de directeur des sports. En 1969, il revient à Nîmes où il y passera neuf autres saisons avant de terminer sa carrière à Montpellier, de 1980 à 1982. Kader aura passé 782 matches sur le banc d'un club de division une, performance battue seulement par Guy Roux.


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