Plusieurs interrogations majeures dominent le programme quinquennal présidentiel portant réalisation d'un million de logements. Les risques d'une grave crise socioéconomique sont soulignés par de nombreux spécialistes du secteur. Ingénieur en génie civil, spécialiste en gestion technique des villes, Rachid Boudjeda est l'un d'entre eux. Pour vous qui analysez tout ce qui se fait en matière de gestion des villes, comment voyez-vous la réalisation de ce programme d'un million de logements ? Si on observe ce qui a été réalisé ces dernières vingt années en matière de logement, on relèvera d'assez grandes fragilités dans nos villes. Il ne faut certes pas noircir le tableau, mais avec les récidives dans la conception des programmes, il n'est pas impossible que l'on s'achemine vers une grave crise. Il est important de rappeler aussi que la loi d'urbanisme 90/29 a confié aux communes l'élaboration du plan local de l'habitat. Dix années après, aucune ne l'a élaboré. Il a fallu se rabattre sur la centrale du ministère de l'Habitat pour concevoir un canevas à même de permettre de rassembler les chiffres constitutifs des besoins en logements par localité. Loin de refléter la réalité du terrain, ce type d'information squelettique induit en erreur en amont, avec l'absence de maîtrise des données démographiques et du mode de vie sociale. Avez-vous le sentiment que dans la conception de ce programme l'on tente de faire du neuf avec du vieux ? Traiter le logement, c'est incruster l'idée que c'est une affaire de tous les acteurs des différentes politiques sectorielles impliquées de manière directe ou indirecte (habitat, industrie, collectivités, fiscalité locale et nationale, maîtres d'œuvres, organismes financiers, société civile et citoyen). Plus nous attendrons pour faire des réformes et engager des transformations dans l'acte de bâtir, plus nous créerons des difficultés. Le déficit, estimé à un million d'unités, est une évaluation qui date de plusieurs décennies. Il est en totale contradiction avec le dernier recensement général sur la population et l'habitat de 1998. La demande en logements n'obéit-elle pas à une fonction exponentielle ? C'est pourquoi la défriche du parc reste une mission délicate qu'il faut reprendre en profondeur pour, justement, éviter de faire du neuf avec du vieux. Vous pensez donc que les risques sont réels avec la mise en route de ce programme, comme ils ne l'ont jamais été depuis l'indépendance ? Je crois qu'il n'y a pas de règle générale. Mais il y a une vérité générale en matière de stratégie du logement qui s'applique singulièrement à la situation présente. Quand on s'engage dans la réalisation d'un projet aussi grandiose, il est nécessaire de connaître le terrain. Le bilan et la capitalisation de l'urbanisation nous renseignent sur l'étendue du préjudice et les désordres qu'ont connus toutes les régions du pays. Le secteur du logement produit l'un des biens les plus durables dans l'économie nationale. Il est le principal investissement que réalisent les ménages. C'est en intégrant tous les éléments liés à l'acte de bâtir que nous pourrons réussir. Ce qui nous renvoie à la question des réformes sachant que le logement n'est pas seulement une affaire de disponibilité financière. C'est aussi une affaire de structures efficaces, d'où la nécessité de faire le ménage au niveau des institutions concernées. Quels sont, selon vous, les moyens à mettre en place pour une sérieuse prise en charge du dossier logements ? Depuis près de vingt ans, les approches engagées par les décideurs ne les ont pas incités à plus de rigueur. En procédant notamment à des analyses très poussées pour localiser les distorsions quelle que soit leur nature et mettre en place des indicateurs affinés sur l'ensemble du territoire. Le dernier rapport de la Banque mondiale du mois d'avril 2005 sur la performance macroéconomique de la politique du logement illustre parfaitement les carences en Algérie, comparativement aux autres pays de la rive sud du bassin méditerranéen. Avoir le courage de réformer en profondeur au lieu d'appliquer des solutions de replâtrage. L'amendement de la loi sur l'urbanisme est plus que jamais une nécessité absolue. Il est important que les réformes de la politique générale du secteur de l'habitat soient poursuivies dans l'ordre.