Dans quelques semaines, sera organisé à Oran le colloque international sur la fabrication des villes. La manifestation coïncide avec le lancement des travaux de réalisation de quelque 200 000 représentant la première tranche du programme quinquennal d'un million de logements initié par la présidence de la République. L'information a aussitôt fait le tour des sièges des associations d'architectes et d'ingénieurs et de leurs conseils de l'ordre respectifs. De simples discussions à bâtons rompus, les débats se sont focalisés sur les graves imperfections que générerait une quelconque précipitation ou improvisation dans la conception des projets. Les critiques sont sévères. Elles pourraient donner lieu à des interventions caractérisées par l'exacerbation des techniciens algériens invités à cette manifestation. Axé sur la réalisation du programme présidentiel, le colloque verra la participation de représentants de grands bureaux d'études européens, dont le Centre de recherche Jack Berque et ceux maghrébins. Briefés par leurs homologues algériens, certains représentants étrangers ont déjà annoncé la couleur. Ils ont affirmé que la construction massive de logements dans le cadre d'un programme quinquennal ne peut en aucun cas s'inscrire dans une perspective d'amélioration du cadre de vie. Nombre de ces spécialistes ont même argumenté l'absence d'un véritable maître de l'ouvrage autres que ceux traditionnels pour le suivi des projets. Architectes et urbanistes ont exprimé leurs appréhensions quant au désordre architectural, urbanistique et environnemental que la réalisation des programmes induirait. « Ce programme d'un million de logements aurait pu être l'occasion d'une vaste entreprise pour la reconstruction des villes algériennes, enlaidies par les phénomènes des bidonvilles, des sous-équipements, de déstructuration. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Pourtant, le nouveau contexte juridique prône le développement durable, les villes nouvelles, la préservation de l'environnement », a affirmé Laâla Boulbir, architecte et enseignant à l'université Badji Mokhtar. Ces architectes et urbanistes s'accordent à dire que l'implantation des programmes de logements au gré des disponibilités foncières aura pour résultat une urbanisation démographique de moindre qualité et difficile à gérer. A la différence des pays développés où les réformes ont donné naissance à un corpus de textes axé sur la conception de la ville, l'Algérie s'est limitée à faire du neuf avec du vieux. Dans le programme quinquennal, les concepteurs ont omis d'intégrer l'entité solidaire et culturelle à même de permettre d'introduire une certaine mixité sociale dans les programmes de logement et, de là, éviter les enclos et les fermetures. « Le ministère de l'Habitat recommande des terrains attractifs pour les programmes de location-vente ou de promotion immobilière. Par ailleurs, il passe sous silence les autres programmes. Dans la majorité des pays du monde, une certaine péréquation socio-urbaine est recherchée dans les politiques d'habitat. Les Européens ont depuis longtemps instauré le droit à la ville pour parer à la ville privée des USA ou la ville duale de l'Afrique du Sud », a précisé notre même interlocuteur qui a cité l'exemple de la crise des banlieues françaises de 1989 ayant eu pour origine la politique de discrimination spatiale (logement social, logement promotionnel). Pour plusieurs animateurs de bureaux d'études algériens, l'actuelle démarche du gouvernement en matière de réalisation de logements n'est rien d'autre qu'une juxtaposition de programmes, tels que celui des plateformes, des logements évolutifs et des locations-ventes. « Alors qu'aucune évaluation ou bilan n'a été établi quant à la réussite ou l'échec des précédentes démarches, c'est le pion du logement social locatif (LSL), social participatif (LSP) et rural qui est avancé sur le grand échiquier que forme le programme présidentiel du million de logements à concrétiser à l'horizon 2009. Ce qui consolide cette impression qui fait que les projets de réalisation de logements en Algérie sont pour les experts internationaux un laboratoire d'analyses et une expérience à vivre en matière de politique de logements », a estimé Abdelatif G., architecte gérant d'un important bureau d'études à l'est du pays. Plusieurs architectes, urbanistes et sociologues interrogés ont estimé que la sélection catégorielle donc ségrégative des candidats au logement, telle qu'entreprise, risque de se traduire par une division sociale de l'espace et un accroissement des bidonvilles.