Y a-t-il derrière chaque logement AADL un Chinois ? La question est presque à l'identique des commentaires soulevés çà et là à chaque fois que l'on évoque cette toute jeune formule susceptible de faire bénéficier d'un toit les bourses moyennes en Algérie, systémiquement exclues, et de fait donc, de tous les autres dispositifs d'acquisition de logements tant les salaires riment avec impuissance. Ces derniers mois, des bruits ont couru sur un prétendu faible rendement des entreprises chinoises du bâtiment ayant un plan de charge plein pour la réalisation des logements dans le cadre de la formule AADL, initiée à l'arrivée de Bouteflika pour juguler un tant soi peu une crise dans ce secteur qui n'a que trop durée. Le pari est grand, et, aujourd'hui, cette formule généreuse, parce qu'elle prend en charge une catégorie de demandeurs qu'on n'arrive à caser nulle part ailleurs, semble essoufflée. Retards dans les délais, les différents acteurs se complaisent à rejeter la responsabilité sur autrui ; les entreprises chinoises sont du coup soumises aux feux de la critique de toutes parts. Ces derniers jours, des informations rapportées tant par la presse nationale qu'étrangère font état soit de la résiliation des contrats avec les Chinois, soit du refus de leur accorder de nouveaux projets dans le cadre des programmes à venir. Rencontré pour mieux cerner cette problématique qui ne cesse pas de nourrir l'actualité nationale, un responsable d'une entreprise chinoise, CSCEC-Algérie, M. Yu Guangyue, directeur général adjoint, revient sur toutes les difficultés rencontrées sur le terrain et aborde avec nous les multiples facettes d'une question centrale : pourquoi autant de retards dans l'achèvement des travaux ? CSCEC assure trois programmes La Société des travaux de construction de Chine (CSCEC) est le n°1 en Chine. Sa filiale en Algérie est présente dans plusieurs wilayas pays. Avec le lancement du programme AADL, cette société chinoise a décroché le marché de construction de 11 000 logements au titre du programme de 2001, et la réalisation de 12 000 logements au titre de la deuxième tranche du programme en 2002. Ajouté à cela, il lui a été confié la construction de 5000 logements dans le cadre de la reconstruction suite au séisme qui a frappé durement l'est d'Alger en mai 2003. Le DG adjoint de CSCEC-Algérie a affirmé qu'ils ont livré à ce jour « plus de 1000 logements dans les différentes wilayas du pays, comme Alger, Annaba, Blida et Mostaganem ». Le programme Aadl de la première tranche 2001 a été réalisé, selon lui, à hauteur de 90%. A fin 2005, il a affirmé pouvoir livrer quelque 90% des 11 000 logements. Le n°2 de cette entreprise considère que tous les retards qui sont intervenus dans l'achèvement des travaux de construction des logements des deux programmes sont à imputer aux contraintes rencontrées par l'entreprise durant les premières années du lancement des chantiers. « On a eu des prolongations dont la durée varie entre 6 et 12 mois. » Notre interlocuteur compte bien défendre la position de son entreprise pour ne pas se laisser entraîner dans les commentaires qui n'ont pas manqué de susciter une forte suspicion autour de cette efficacité que se sont assurés en publicité les Chinois en Algérie. Il a affirmé ainsi que la CSCEC-Algérie a rencontré des « problèmes de terrain ». Pour mieux justifier les retards qu'accusent les entreprises chinoises dans la réalisation des projets, il avance les difficultés rencontrées autour de la question des terrains. « Souvent, des terrains qu'on nous a accordés ont suscité des litiges et l'opposition des riverains. Ce qui fait que des retards ont dû durer assez longtemps. » « On ne veut pas avoir des problèmes avec la population », lâche-t-il. « On a rencontré ce genre de problèmes aux Bananiers, à Alger. A Sebbala, les gens affirment que le terrain est une propriété privée », a-t-il soutenu. D'après lui, « presque tous les terrains ont posé problème. Certains ont été réglés au bout de quelques jours et d'autres ont quand même duré assez longtemps. A Annaba, on a mis 9 mois pour trouver une solution... Aussi la qualité des terrains affectés à la construction a-t-elle constitué un grand obstacle à l'avancement des travaux ». Un doigt accusateur L'interlocuteur pointe ainsi un doigt accusateur vers le maître d'ouvrage, à savoir l'AADL, dont la responsabilité est engagée en matière d'études topographiques. Face à cette situation, qui n'est pas bien évidemment sans conséquences sur les délais de livraison de logements tant attendus par une population à bout de patience, le retard a un coût. « Les surcoûts sont assurés par l'entreprise. Mais de l'autre côté, les retards sont acceptés par le maître d'ouvrage », a-t-il expliqué. A la panoplie des difficultés sériée par notre interlocuteur, M. Yu Guangyue ajoute une autre difficulté, d'une tout autre nature celle-là, puisqu'elle concerne le travail conceptuel fait par les pouvoirs publics en matière de politique de logement et non plus les malheurs naturels invoqués le plus souvent dans cette affaire des retards, comme la peste à Oran, l'épidémie du SRAS ou le séisme. Selon notre interlocuteur, le handicap en question est à situer au niveau du type de financement ayant été mis en place. Qualifié d'un des plus grands problèmes survenus au cours de leur courte expérience en Algérie, le deuxième responsable de la CSCEC-Algérie considère qu'« au début, le maître d'ouvrage n'a pas bien estimé l'ampleur du problème de financement ». Un mode de financement combiné entre le ministère de l'Habitat et l'AADL a consisté à ce qu'une partie commerce et services soit financée par l'AADL et l'autre partie, c'est-à-dire le logement destiné à l'habitation, par le ministère de tutelle. La partie inférieure des immeubles AADL (rez-de-chaussé, bureaux et locaux situés dans les premier et deuxième niveaux d'étage) sont financés par le maître d'ouvrage (AADL). Tandis que le reste, c'est-à-dire les étages supérieurs, sont à l'actif du ministère de l'Habitat. Il s'agit ainsi, a-t-il expliqué, d'un type de financement qui a « causé un grand problème pour le constructeur que nous sommes ». « L'AADL devait vendre la partie commerce et services pour pouvoir payer les entreprises. Et comme elle n'a pas pu réussir dans la vente de ses locaux, elle a alors rencontré des difficultés à payer les entreprises », a-t-il souligné comme pour mieux impliquer l'AADL dans cet échec à respecter les délais de réalisation. « Les gens n'ont pas acheté les commerces et les bureaux », a-t-il cru utile d'ajouter. Révision des prix à la hausse Ainsi donc, l'AADL s'est-elle trouvée à court de financements pour pouvoir honorer ses engagements avec les entreprises. Selon M. Yu Guangyue, la CSCEC n'a pas encore perçu les 2,5 milliards de dinars que lui devait l'AADL au titre du programme de 2001, et les 3 autres milliards de dinars au titre du programme de 2002. « Jusqu'à maintenant, on n'a pas encore touché l'argent de la partie commerce », a-t-il déclaré. Et d'ajouter : « Après s'être aperçu de l'erreur de ce type de financement, l'Etat a dû récupérer de l'AADL la propriété de la partie commerce et services début 2005. » La CSCEC semble pourtant vouloir rassurer. Tendant à relativiser les retards enregistrés, notre interlocuteur affirme que pour la plupart de ses sites, la réalisation a atteint le niveau moyen de 60% et l'on prévoit leur achèvement pour la fin de l'année 2006. Mais entre-temps, cette entreprise compte bien négocier la révision des prix. Les négociations sont en cours actuellement avec le maître d'ouvrage. Les prix des matériaux ne sont plus au même niveau. L'entreprise importe, pour une très large part, de l'acier des marchés espagnol, russe et turc. Citant l'exemple de l'acier, il dira que le prix de ce matériau coûte actuellement 50 000 DA/t, contre 23 000 DA/t au moment de l'offre. Pour le sable, l'on évoque la pénurie ces derniers temps et on affirme que les prix actuels sont de l'ordre de 2800 DA/m3, contre 1500 m3 au moment de l'offre. Pis, le Chinois considère globalement que le marché du logement en Algérie a de l'avenir. Néanmoins, il n'omettra pas de dire qu'« on ne s'est pas bien préparé ». Notre interlocuteur parle de pénurie de l'acier, du ciment, du sable et plein d'autres matériaux qu'on ne trouve pas aisément. En somme, toujours au sujet de la révision des prix des logements à réaliser, cette entreprise chinoise, selon son DG adjoint, considère qu'elle sera de l'ordre de 1 à 2% du montant des 30% du marché 2001-2002 à réaliser. Le montant du marché (la partie commerce et services non comprise) est évalué, d'après lui, à quelque 5,5 millions de dollars. Invité à s'exprimer sur les développements des dernières semaines concernant l'obtention de nouveaux projets, notre interlocuteur affirmera que la CSCEC est « toujours en cours de soumission pour d'autres projets » et apportera à ce sujet un démenti formel concernant les informations distillées dernièrement sur la décision qu'auraient prise les pouvoirs publics à leur encontre, à savoir le retrait des marchés. « On a entendu cette information, mais on n'a pas reçu cette lettre dont on parle tant... C'est quand même le numéro deux de l'entreprise qui te parle... Autrement, je l'aurais su. »