Des étendues de vignobles dans la région du Dahra témoignent du retour progressif de la viticulture dans la wilaya de Mostaganem. De jeunes vignes qui auraient l'âge du Plan national du développement agricole (PNDA), soit environ quatre années, occupent à perte de vue de grandes superficies conjuguant ainsi le présent au passé pas très lointain où cette activité léguée par les Français du temps de la colonisation était la culture phare de la région. C'est aussi le signe que les exploitants agricoles commencent à croire en la rentabilité de la viticulture, surtout après l'investissement de deux opérateurs privés dans la transformation de la vigne, ce qui leur a permis de se dégager de l'emprise de l'Office national de commercialisation des vins (ONCV). « Il y a deux ans, les paysans avaient barré la route avec des remorques de vigne car ils n'arrivaient pas à écouler leur production à cause du monopole de l'ONCV qui leur faisaient du chantage sur le prix et la quantité », raconte le directeur des services agricoles (DSA) Fehed Benhamidet. Actuellement, sur les 12 000 ha consacrés à l'arboriculture, 8000 ha sont des plantations de vigne. On recense également 14 caves en activité. Mais on est bien loin des 50 000 ha de vigne et des 150 caves de l'époque coloniale. Une situation qui s'explique par les arrachages massifs, notamment durant les 1970 et 1980. Une époque où l'on caressait l'espoir utopique d'arriver à satisfaire nos besoins en céréales et encourageait de ce fait les agriculteurs à verser dans la céréaliculture. C'était la révolution agraire. Résultats : les terres étaient emblavées et donnaient des récoltes dérisoires ou étaient carrément laissées en jachère. A l'heure actuelle, la reprise reste quand même timide. Certaines caves qui ont longtemps été abandonnées ont été cédées en concession à des opérateurs privés. C'est le cas de cette cave située dans la commune de Ben Abdemalek Ramdane dont dispose actuellement, depuis deux ans, Rabah Aït Abdelkader. Celui-ci, après avoir roulé sa bosse pendant une vingtaine d'années à l'ONCV, a décidé de se mettre à son propre compte dans la transformation du raisin pour la production de vins. Au total, cet ancien cadre de l'ONCV, qui a suivi une formation dans le domaine en France, a investi environ 600 millions de centimes. Il gère six caves : 2 à Mostaganem, 2 à Aïn Témouchent, et 2 à Sidi Bel Abbès. Il est également le patron d'une entreprise, Les Grands Crus de l'Ouest, située à Oran et qui s'occupe de l'embouteillage. En 2004, sa production tournait autour de 10 000 hectolitres, dont 30%, soit 3000 hectolitres, ont été exportés. Le créneau est particulièrement porteur. D'ailleurs, il suscite l'intérêt d'opérateurs étrangers. Pas plus tard que la semaine écoulée, une délégation espagnole est venue prospecter la région pour étudier l'éventualité d'investir dans la transformation et la mise en bouteille, selon le DSA. Il est même question qu'ils prennent des échantillons pour faire des analyses. Si ces contacts se concrétisent, ce serait une aubaine pour les agriculteurs qui ont choisi cette filière. Cependant, beaucoup d'entre eux ne bénéficient pas de l'accompagnement nécessaire, notamment auprès des banques. « Si le système bancaire était performant, les banques accorderaient des crédits de campagne que les exploitants agricoles rembourseraient au fur et à mesure », affirme à ce propos M. Benhamidet. Comme ce n'est pas le cas, notre interlocuteur indique qu'il a réuni tous les professionnels et leur a demandé d'investir « une partie de leurs bénéfices dans leurs exploitations au lieu de se remarier et de les dépenser dans les cabarets », soulignant ironiquement que les agriculteurs ne sont pas exempts de reproches. Un peu comme cet agriculteur, Charef Benadidouche, dont l'exploitation de 50 ha ne contient que la culture de la pomme de terre. « Je triche pour les impôts », avoue-t-il avec une spontanéité propre aux paysans. Avant d'ajouter sur un ton plaintif : « Les charges sont trop importantes. Je dépense 20 millions de centimes par hectare. Je donne aussi 400 DA par jour à chacun de mes 35 employés permanents et aux 70 autres saisonniers. » Le président de l'Association des producteurs de pommes de terre de Mostaganem, Keddour Benchérif Djelloul, situe le problème à un autre niveau. Selon lui, « ce qui les intéresse, c'est la régularisation du marché ». D'après le DSA, les prix affichés dans les marchés ne profitent pas beaucoup aux agriculteurs. Il en est ainsi de la pomme de terre qui est cédée aux grossistes à raison de 14 DA le kilo, alors que les commerçants de fruits et légumes la commercialisent rarement au-dessous de 30 DA. Mostaganem compte une trentaine de gros producteurs de pomme de terre. Elle occupe le cinquième rang avec une production de 1,5 million de quintaux, après entre autres Aïn Defla, Sétif et El Oued. Elle approvisionne essentiellement l'est du pays. La bourse de la pomme de terre C'est dans la commune de Sirat que se décide le prix de la pomme de terre. Cette bourgade fait figure d'une véritable bourse de ce tubercule. Une procession de poids lourds venus de différentes wilayas de l'Est stationnent à la tombée de la nuit en attendant de reprendre le chemin avec à leur bord des cageots pleins de pomme de terre. Chez le détaillant, le prix aura enregistré une tendance haussière avant de se stabiliser pour atteindre le double, parfois plus, de la valeur qu'aura fixé l'agriculteur. Autant dire que, entre temps, les spéculateurs auront ingénieusement gonflé leur marge bénéficiaire sur le dos des consommateurs. C'est sans doute ce qui explique le fait qu'avec une production nationale de 50 millions de quintaux qui couvrirait largement les besoins de la population, en somme une offre qui dépasse la demande, on se retrouve tout de même avec des prix dépassant tout entendement. Dans ce contexte, le DSA de Mostaganem déplore le fait qu'il n'y ait pas « d'instruments de régulation du marché, de transformation et de distribution ». La spéculation ne concerne pas uniquement la pomme de terre, mais s'étend à toutes les filières. Ainsi, M. Hanien, un ancien industriel dans l'agroalimentaire qui s'est reconverti dans l'agriculture, assurera en haussant les épaules qu'il vend ses oranges entre 25 et 30 DA à la cueillette et les retrouve à 80 DA au marché. Ce producteur d'agrumes et éleveur de bovins n'en estime pas moins que le métier est plutôt rentable. « En tant qu'industriel, j'avais une fromagerie dont les résultats n'étaient pas réguliers. Ou bien vous faites un bon coup ou bien c'est tout à fait le contraire. En revanche, l'agriculture, c'est rentable à long terme », soutient-il. Un constat que partage Touahria Chikh, qui a abandonné son tablier d'enseignant pour se consacrer à une toute autre vocation, à savoir celle d'apiculteur. Il a placé ses cinq ruches dans la forêt de Dadas, dans la commune de Khadra. Il accumule une trentaine d'années d'expérience en apiculture. Un montage financier combinant le soutien de l'Etat et un microcrédit dont a bénéficié sa fille auprès de l'Ansej qui lui a permis d'acquérir quelque 300 ruches. « Je suis passé de l'apiculture traditionnelle à l'apiculture professionnelle », signalera-t-il. Sa production de miel a connu une baisse vertigineuse passant de 12 q en 2000 à 60 kg en 2004. Selon lui, la sécheresse est à l'origine de cette chute. Depuis, il fait de l'essaimage. La rareté du miel qui est très prisé pour ses vertus thérapeutiques est donc derrière les prix exorbitants affichés chez les commerçants. Notre apiculteur nous fera savoir qu'il vend le fruit de son labeur et celui de ses abeilles entre 1200 et 1400 DA. Pour lui, il faudra faire plus de publicité pour les produits algériens. Des produits qui commencent à faire leur entrée dans des marchés étrangers quoique la machine ne soit pas encore bien rôdée. Exportation « Les agriculteurs doivent apprendre à produire pour exporter et non uniquement pour le marché national », estime M'hamed Allaoui, exportateur qui reconnaît que l'agriculture « n'est pas mon domaine ». Il a signé avec un Français d'origine algérienne une convention d'exclusivité pour la fourniture de fruits et légumes de Mostaganem. Des marchés français ont été approvisionnés par la courgette algérienne qui paraît-il a eu beaucoup de succès. 200 q ont été exportés. Il n'a trouvé aucune difficulté dans l'acte d'exporter. Selon lui, la difficulté réside plutôt dans l'approvisionnement à partir des exploitations agricoles. « La qualité des produits n'est pas soignée. La production n'est pas régulière et ne répond pas à la demande européenne », a-t-il dit. Il soutient que pour pouvoir respecter le cahier des charges, il a dû se lancer dans la production lui-même, d'autant plus que des exploitants ont « refusé de travailler » avec lui. Un responsable du ministère de l'Agriculture justifie cet état par le fait que les produits demandés par l'exportateur en question ne font pas partie des produits cultivés habituellement par les agriculteurs de la région. Il n'en demeure pas moins que l'opérateur continuera à exporter. Après la courgette et une petite quantité d'artichauts, il compte pourvoir son client en melon. Pour cette fois, il s'est contenté de montrer à ses partenaires, les exploitants agricoles, comment produire de façon à ce que ces fruits répondent aux normes exigées. Pour l'exercice actuel, il espère exporter toutes sortes de produits agricoles algériens. A en croire cet opérateur, les agriculteurs refusent de signer des contrats de fourniture. « On les a aidés en leur fournissant les équipements du goutte à goutte, des engrais et des produits de fertilisation, et ce, sans contrepartie contractuelle », déclarera-t-il en substance. En attendant que les mécanismes de l'exportation soient mis en place et que agriculteurs et exportateurs travaillent dans une harmonie et une coordination parfaites, M. Allaoui affirme qu'il s'est fixé comme objectif de placer les produits algériens dans le marché européen. « C'est un projet que nous mûrissons depuis 10 mois. On est en phase d'investissement », dira-t-il. « C'est une activité d'avenir », a-t-il conclu. On peut en dire autant pour l'agriculture à Mostaganem, une wilaya qui, malgré la faiblesse de ses ressources en eau, tient le haut du pavé, notamment dans certaines cultures.