La présence de Sembène Ousmane à Cannes a été l'occasion pour lui de discuter avec les spectateurs très nombreux dans la salle Bunüel, lors de sa magistrale « Leçon de cinéma » dimanche dernier, de son travail à la fois comme cinéaste et romancier. Il a parlé de la création cinématographique en Afrique et des difficultés que rencontrent les cinéastes du continent. Il a rendu un très vibrant hommage à la Cinémathèque algérienne qui fut un véritable pont entre le Maghreb et les pays du sud du Sahara et qui a aidé énormément les cinéastes africains à une époque où personne au monde ne voulait en entendre parler. Sembène a aussi rendu hommage à Tahar Cheriaâ avec lequel il a fondé le premier festival panafricain, celui de Carthage. Absent de Cannes mais au marché on a montré son dernier film, c'est le cinéaste mauritanien Mohamed Mondo qui, par ailleurs, est un acteur qui a joué des pièces de Kateb Yacine, Aimé Césaire, Bertold Brecht. Son film s'intitule Fatima, l'Algérienne de Dakar, d'après un récit de Tahar Cheriaâ sur une histoire authentique. Au cours de l'été 1957, en pleine guerre d'Algérie, un sous-lieutenant sénégalais, Souleyman Fall, participe à une opération contre les combattants algériens. Dans un village, il viole une jeune fille. Un fils à la peau noire naît de cette tragédie. Le père de Souleymane, musulman pratiquant, oblige son fils à repartir en Algérie après l'indépendance pour rechercher la femme (Fatima) et organiser le mariage. Avec des images superbes et une musique de Taos Amrouche, Mohamed Mondo réalise une tragédie antique. Autour du personnage de Fatima, gravitent de multiples personnages qui incarnent à la fois les cultures du nord et du sud du Sahara. Le père de Fatima est joué par l'extraordinaire acteur Larbi Zekkal, un roc du cinéma algérien classique, qui cite dans le film Kateb Yacine et Frantz Fanon. Un rôle très fort et très beau. Finalement, on a pu voir le film tant attendu : Manderlay, du Danois Lars Von Trier, avec des acteurs africains et afro-américains de premier plan, comme Isaach de Bankolé et Danny Clover. Après Dogvillé, c'est la seconde partie de la trilogie américaine de Lars Von Trier et cela se passe en Alabama. De quoi s'agit-il dans Manderlay (qui, il faut le dire tout de suite mériterait plus qu'une palme d'Or) ? Une jeune et très jolie femme nommée Grace arrive du Midwest en plein sud, dans une ville de l'Alabama encore sous l'esclavage. La première chose qu'elle voit, c'est un Noir en train de se faire fouetter. Ku Klux Klan était à sa triste apogée dans la région du « deep south ». Son père, un chef de gang, finit par accepter qu'elle s'installe à Mandalay pour changer radicalement les choses et bannir l'esclavage. Cela se passe dans les années 1930. Partout ailleurs aux Etats-Unis, l'esclavage était aboli, sauf en Alabama. Grace dans le film essaye d'abolir l'esclavage et d'introduire la démocratie : tâche surhumaine, puisque à chaque fois elle rencontre des problèmes insolubles (un enfant qui meurt de faim, l'argent de la récolte du coton est volé, au lieu de reconnaissance, les habitants de Mandalay montrent plutôt de l'ingratitude à son égard). La forme des films de Lars Von Trier est tout à fait originale. C'est une forme littéraire, avec des chapitres distincts, une histoire racontée en voix off comme dans les beaux films d'Orson Welles. Le jeu des acteurs est aussi très théâtral - pour mieux signifier que c'est une histoire inventée et pas la réalité. Mandalay embrasse un pan de l'histoire américaine tout en restant une création artistique. Ce n'est que dans le post-générique que le réalisateur montre des images documentaires comme pour ancrer dans la réalité l'histoire qu'il vient de nous raconter. On voit alors Ku Klux Klan, l'assassinat de Luther King, les féroces répressions contre la révolte des ghettos noirs. Bref, Lars Von Trier a donné au Festival de Cannes une véritable leçon de cinéma. Deux heures de grandeur et de magie qui paraissent au-dessus de tout le reste du programme de la compétition.