Nous tenons à dire, d'entrée de jeu, aux supporters du Mouloudia que notre doyen n'a rien à voir avec le leur. Il s'agit pour nous, en effet, d'évoquer la personnalité de Sembene Ousmane, le cinéaste sénégalais, le plus vieux et le plus aimé de nos artistes, celui que tout le monde appelle par respect “Sembene l'Africain”. Voilà que Sembene, portant allègrement ses 83 ans, nous revient avec un film et une leçon de cinéma. Commençons par la leçon qu'il a donnée à Cannes à l'occasion du dernier festival. Amusé et rieur, Sembene introduit le sujet de la façon suivante : “Lorsque j'ai reçu l'invitation pour dispenser une leçon de cinéma dans le plus grand festival du monde, j'ai vite accepté car j'avais deux choses fondamentales à dire en ces lieux. La première est que je suis très content de donner enfin une leçon à nos cousins français qui nous en donnent depuis plus d'un siècle. La deuxième est d'avertir encore une fois les critiques pour qu'ils n'écrivent plus que je suis auprès de mon peuple, moi qui suis à l'intérieur de mon peuple, qui vis sa vie et sens ses palpitations.” Le dernier film que Sembene vient d'achever, Moolaade, traite de l'excision, cette pratique des temps anciens, barbare, insupportable, qui cause encore tant de ravages sur notre continent. Il est vrai que notre ami aurait certainement préféré mettre en images l'épopée de Samory Touré le héros, l'Abdelkader des peuples de l'Afrique sud-saharienne lorsque celle-ci était unie. Il nous faudra être patients et attendre, car le projet est très coûteux. Mais disons tout de même à Sembene qu'en luttant contre l'excision, il lutte encore et aussi pour la libération et l'indépendance de notre continent. À parler de Sembene, nous revient en mémoire une scène que nous n'oublierons jamais. Il s'agit de sa rencontre à Alger, dans un restaurant du bord de mer, lorsque le chemin de notre pays lui était familier, avec un autre combattant, malheureusement disparu aujourd'hui, Arezki Bouzida. Comme ils sont faits de la même “pâte”, ils se reconnurent, se jaugèrent, s'apprécièrent et tous deux, debout, se lancèrent avec leur voix fortes et puissantes, dans un procès du colonialisme au nord et au sud du Sahara, qui nous impressionna fortement. Pendant plus d'un quart d'heure, les mots cognaient et disaient leur vérité. La standing ovation de tous les clients autour de nous, qui avaient cessé de manger pour suivre leur démonstration, nous mit les larmes aux yeux. Nous regretterons toujours de n'avoir pas enregistré cet échange entre le griot et le meddah tant nous aurions aimé le publier aujourd'hui, alors que des voix révisionnistes et mensongères s'élèvent pour faire croire, on ne sait à qui, que la colonisation nous a apporté du bien et aurait même soulagé nos peuples… Pour notre part, nous préférons laisser ces trafiquants de l'histoire dans leur monde de désinformation et de tricherie. Nous espérons seulement revoir encore une fois Sembene à Alger avec son éternelle casquette de docker, sa pipe d'écrivain, avec tous ses films (et pourquoi pas Samory aussi…). Nous l'aimons tant lorsqu'il parle aux jeunes, lorsqu'il devient cinéaste-éducateur et qu'il met en pratique sa devise : “Le cinéma est mon école du soir.” B. K.