Récemment, le ministère de l'Habitat avait dépêché en Espagne une délégation composée de plusieurs de ses proches collaborateurs. Elle avait pour mission de contacter les bâtisseurs ibériques. Comme objectif, ils devaient étudier les possibilités d'intervention en Algérie des entreprises espagnoles du bâtiment dans le cadre de la réalisation du programme du million de logements. Selon des indiscrétions, les Espagnols auraient opposé une fin de non-recevoir à la démarche des cadres algériens du ministère de l'Habitat. A travers les réponses très évasives de leurs interlocuteurs, les missionnaires avaient eu l'impression que l'Algérie avait été mise sous embargo par l'Union européenne (UE) à la demande d'un des membres les plus influents de cette institution. Après plusieurs tentatives infructueuses, les envoyés spéciaux du ministère algérien de l'Habitat s'étaient rendus à l'évidence. Ils étaient confrontés à un problème politique. D'où cette question lancinante que beaucoup de responsables se posent : un million de logements à réaliser en cinq années, est-ce possible, est-ce faisable dans un pays traditionnellement limité à un portefeuille de 300 000 logements ? Dans les propos, le doute est de mise. Même si les regards s'orientent vers les cinq entreprises chinoises. De par le respect de la totalité de leurs engagements dans la réalisation des 20 000 logements du programme AADL, elles représentaient une éventuelle bouée de sauvetage. Les travaux de 300 000 logements ont été déjà lancés. La réalisation des 700 000 autres est, pour la plupart, confrontée à un problème de foncier, d'études, architecture, d'appels d'offres infructueux et de cette politique où se mêlent le social locatif chapeauté par les Offices de promotion et de gestion immobilières (OPGI) pour 250 000 unités, le même nombre en logement social participatif sous le contrôle de différentes institutions. Le logement rural et celui promotionnel se partagent le reste. Problème épineux, le foncier se révèle être un obstacle difficilement franchissable dans les grandes villes, particulièrement à Alger, Oran, Annaba et Constantine. Au foncier s'ajoute une préparation bâclée du programme. Une préparation d'où la mise à disposition de terrains d'assiette viabilisés a été occultée. Ce qui semble avoir contraint les décideurs locaux à se rabattre sur des terrains dépourvus de servitudes (proximité des routes, conduites d'eau potable et d'évacuation des eaux usées, sauvegarde de l'environnement...). Ainsi entamé, le programme du million de logements pourrait s'avérer être une catastrophe architecturale, urbanistique et environnementale. « Nous risquons de lancer des logements avec les problèmes que cela sous-entend. Dans un des discours entendus à la télévision, le ministre de l'Habitat avait affirmé disposer d'une assiette de terrain globale pour 1,5 million de logements. Or l'assiette dont il parle n'est pas adaptée, car non aménagée et ne comprenant pas une viabilité minimale. Le ministre a certainement oublié qu'un terrain d'assiette, ça se prépare. Ce n'est pas en pointant du doigt un site donné que se réalise un programme ou des projets », a indiqué M. Mostefa D., un urbaniste. Pour de nombreux urbanistes, ce programme est techniquement irréalisable dans plusieurs régions. Selon eux, le problème d'aménagement se pose. En Algérie, il n'existerait pas un seul aménageur. Universités comme instituts publics et privés ne prévoient pas ce type de formation dans leur cursus. Les mêmes sources ont révélé qu'en matière d'architecture, se sont des bureaux d'études à composante inexpérimentée qui ont été chargés de l'élaboration des plans de réalisation. « Il faut prendre sérieusement cet aspect de la formation en charge pour pouvoir parler de programme à grande échelle de réalisation de logements, tel que celui initié par la Présidence. Comment peut-on admettre que dans un pays comme l'Algérie, il ne puisse exister un seul aménageur », s'interroge M. Abdelmoumen L., enseignant universitaire à Annaba. « Infructueux. » Telle est la sentence qui a frappé la majorité des appels d'offres internationaux. Ils avaient paru sur un ou deux titres de presse proches du gouvernement, à audience très réduite et auxquels n'accèdent pas la plupart des responsables des missions économiques auprès des ambassades accréditées à Alger. « Comment dans ces conditions peut-on imposer à un fournisseur étranger de déposer sa soumission dans les 20 ou 30 jours à compter de la date de parution de l'appel d'offres. Même si l'Algérie était un marché attractif, les bâtisseurs étrangers ne viendraient pas pour construire au prix de 14 à 16 000 DA le mètre carré bâti le social locatif et de 18 à 23 000 DA le mètre carré bâti le LSP », argumente M. Kamel M., cadre au ministère de l'Habitat. Excessivement cher le prix du logement social en Algérie, a souligné dans son étude la Banque mondiale (BM). Que dire alors de celui destiné au monde rural, où l'aide de l'Etat est considérée dérisoire par rapport au niveau de vie de ceux auxquels il est destiné. Plusieurs de nos interlocuteurs ont estimé que la cherté du logement social participatif risque de mettre, à court terme, les bénéficiaires dans une situation de non-paiement de leur loyer avec, pour conséquence, le retour au logement inhabitable et aux cités dortoirs.