Le 29 octobre 1989 à 11h, Kateb Yacine est décédé à Grenoble (France). Le lendemain, son corps est rapatrié. Foule et houle à l'aéroport d'Alger. La police eut recours aux bombes lacrymogènes pour dégager les environs de l'aéroport et faire sortir le corps de Yacine. Le 1er novembre 1989, Kateb Yacine fut inhumé au cimetière d'El Alia. Que de monde ! Du jamais vu depuis l'enterrement historique de Mouloud Mammeri ! Déjà au centre familial de la Casoral à Ben Aknoun, la foule était compacte et dense. Des milliers d'hommes et de femmes, jeunes, moins jeunes, vieux et vieilles se sont rassemblés. Dans « la baraque » triste de Yacine, les bouquets de fleurs s'amoncelaient sur le cercueil de l'écrivain innovateur, indomptable et... universel. Quand l'ambulance des « morgues d'Alger » est arrivée, des dizaines de jeunes dressèrent un barrage devant elle. Le chauffeur dut rebrousser chemin. Un peu plus tard, les mêmes jeunes choisiront une Mazda (camionnette) pour le transport du corps de Yacine vers le cimetière d'El Alia. Le cercueil déposé à bord de la camionnette, une dizaine de jeunes montèrent à l'arrière. Au niveau de l'hippodrome de Kharouba, la roue arrière droit du véhicule creva. Le chauffeur de la Mazda n'avait pas de crique ! Les jeunes descendirent de la camionnette et comme un seul homme hurlèrent « haut, hisse ! » et soulevèrent le véhicule. Très rapidement, le chauffeur plaça sa roue de secours dans l'essieu, demanda aux jeunes de lâcher prise et boulonna la gente. Enfin, le cortège funèbre, qui s'est arrêté pour cet « incident », redémarra. A l'enterrement, il a fallu beaucoup de courage et de « psychologie » au frère de Yacine pour calmer la foule qui scandait des slogans hostiles au pouvoir. Enfin, l'écrivain est enterré dans la ferveur. Au sortir du cimetière, mon ami Aziz Boulakir attira mon attention en disant : « Ecoute, écoute. » Je me suis retourné vers la gauche, comme le voulait Aziz. Deux ouvriers habillés de bleus de Chine discutaient en marchant. L'un d'eux racontait à son compagnon comment, par une nuit glaciale, sa femme allait accoucher de leur premier enfant. Il était au chômage et n'avait aucun sou. Il accourut chez son voisin qui lui conseilla d'aller voir un monsieur qui s'appelle Kateb Yacine et lui écrivit son adresse. L'ouvrier partit sur-le-champ chez Yacine. Il le trouva et lui raconta « sa misère ». Kateb lui donna 4000 DA en lui disant que ce sont ses droits d'auteur qu'il vient de recevoir de l'ENAL pour la traduction et la publication de son livre L'Emir Abdelkader et l'indépendance de l'Algérie.(1) 1- C'est une conférence que Kateb Yacine a donnée, en 1947, à la salle de La Société savante à Paris. Notre auteur avait, à l'époque, 17 ans !