“Le poète n'est pas mort. Yacine, l'amant de Nedjma, est éternel.” C'est la quintessence tirée lors des témoignages donnés, hier, à l'ouverture du colloque sur la vie et l'œuvre de Kateb Yacine à la maison de la culture Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou. Fadila Kateb, la sœur de l'écrivain, a rapporté des tranches de vie de son frère qu'elle a côtoyé un demi-siècle durant. Kateb Yacine au crépuscule de sa vie s'était caché pour mourir quelque part dans un village du Midi de la France. Sa sœur Fadila, ancienne enseignante aujourd'hui à la retraite, est partie à sa rencontre. C'était le 23 septembre 1989. “Ce fut notre dernière rencontre. Nous avions évoqué nos souvenirs d'enfance”, déclare Mme Fadila Kateb. Une foule de souvenirs inonde la mémoire de la frangine qui se rappelle des premiers poèmes du jeune Yacine, alors poète en herbe. Mais elle se rappelle aussi de la colère du paternel, cadi de son état, qui, ayant surpris son fils avec un paquet de cigarettes Bastos, le rouait de coups avec sa canne au bois noueux, tandis que son rejeton se cachait le visage. L'oratrice passe allègrement sur les époques, notamment l'épisode de son emprisonnement lors des événements du 8 Mai 1945. À la mort de son père, Kateb Yacine déménage avec sa famille et quitte le village. “C'était la fin des jours heureux en Kabylie”, regrette Fadila qui affirme que Yacine jouait de la flûte quand son père mourut. Ainsi était la volonté du paternel. À Alger, la misère battait son plein. Deuxième tuteur de la famille comme le veut la tradition, le jeune Yacine était journaliste à Alger Républicain, mais a dû s'engager en tant docker au port d'Alger pour mourir la famille. À la maison, Kateb Yacine aimait se mettre devant la cheminée, selon le témoignage de sa sœur. Il lui disait que “sans le feu, il n'y a point d'humanité”. Et puis ce fut le chemin tortueux de l'exil. Après la naissance de son fils Amazigh, l'actuel troubadour du gnaoui, l'écrivain déjà à la renommée bien établie perd sa mère. “Yacine avait enterré notre mère en entonnant l'Internationale au cimetière”, se remémore la conférencière pour qui le modeste logis de Yacine à Ben Aknoun était un sanctuaire de la liberté. Fadila se rappelle des débats fougueux de son frère toujours bouillonnant d'enthousiasme. “Il dénonçait le mal et l'injustice sans cesse. Tout son être palpitait pour la liberté”, dit-elle. Celle-ci s'est notamment attardée sur la mort de son frère qui se savait alors condamné. Après le transfert de la dépouille de Kateb Yacine de l'hôpital de Grenoble en France, la famille du défunt a refusé l'escorte officielle pour le transporter à Ben Aknoun. Une foule compacte se dirige vers le domicile du dramaturge. Fadila se rappelle de la venue de Matoub pourtant en convalescence après la rafale de balles qu'il reçut d'un gendarme de Michelet, à Tizi Ouzou, le 10 octobre 1988. Elle était encore plus émue quand un aveugle s'était amené “pour voir Yacine avec son cœur”. La veillée mortuaire ressemble à une soirée de vernissage. Le lendemain, pour l'anecdote, la camionnette qui transportait la dépouille de Yacine est tombée en panne, crevée en cours de route. Le cimetière El Alia était plein de monde et de chants patriotiques. “C'était épique !” lâche la sœur de Kateb Yacine, dont l'enterrement, le 1er novembre 1989, s'est déroulé sous les airs de l'Internationale. Non Yacine n'est pas mort ; le compagnon de Mohamed Issiakhem, Ali Zamoum et Mohand-Saïd Ziad a tenu bien haut le flambeau des ancêtres. Son étoile brille toujours, elle s'appelle Nedjma, elle s'appelle l'Algérie…