En confirmant le général-major Ahmed Gaïd Salah au poste de chef d'état-major, après la démission du général de corps d'armées Mohamed Lamari, le président de la République donne l'impression de vouloir maintenir le statu quo dans ses relations avec l'Armée. Loin de renseigner sur un quelconque changement, l'installation du chef du Commandement des forces terrestres (CFT) dans cette nouvelle fonction est à considérer plutôt comme une réponse à un imprévu auquel a été confronté le chef de l'Etat. Officiellement, cet imprévu est justifié par l'état de santé du général Lamari. Quoiqu'ils n'aient pas tort, ceux qui pensent que la démission de Mohamed Lamari de son poste est à mettre sur le compte de ses divergences avec Bouteflika n'ont pas tout à fait raison non plus. La preuve est fournie par le fait que le chef de l'Etat n'a pas accueilli le souhait de son chef d'état-major de mettre sa tenue militaire au placard de gaieté de cœur. L'on retiendra également que Abdelaziz Bouteflika s'est employé, pendant près d'un mois, à faire revenir Mohamed Lamari sur sa décision. N'ayant pas pour habitude d'être complaisant à l'égard des cadres de l'Etat, Bouteflika confirme ainsi l'idée qu'il considérait Mohamed Lamari comme une pièce maîtresse sur son échiquier. A ce propos, il était attendu à ce que la poursuite de l'opération de modernisation et de professionnalisation de l'ANP lui soit confiée. L'hypothèse se tient d'autant plus que concomitamment à la lutte menée contre le terrorisme, le général Lamari est celui qui a accéléré le mouvement de modernisation des équipements de l'armée. Lamari a-t-il réellement démissionné pour marquer une opposition au Président, comme cela est soutenu par des observateurs ? L'interrogation demeure du domaine du possible. Mais, il reste à définir les motivations à l'origine de cette opposition. L'envie du général Lamari de changer d'air a-t-elle un rapport avec les choix militaires du chef de l'Etat, également ministre de la Défense, ou bien s'appuie-t-elle toujours sur les critiques formulées à l'encontre de la politique sécuritaire de Bouteflika lors de son intervention donnée à l'Académie de Cherchell en 2002 ? Il est peu probable que les choix militaires de Bouteflika sont à lier au départ de Lamari. De ce point de vue, l'un et l'autre sont partisans, au plan stratégique, d'un rapprochement avec l'Otan et du maintien d'une coopération privilégiée avec la Russie et la Chine. Autre fait important : l'état-major de l'armée n'a jamais trouvé à redire concernant la politique étrangère de Bouteflika. En ce sens, le chef de l'Etat est non seulement resté fidèle aux idéaux ayant fondé la diplomatie algérienne, mais il les a raffermis. A l'inverse, là où l'on peut trouver matière à spéculation, ce sont les réserves de Lamari ayant accompagné la démarche préconisée par Bouteflika pour traiter le problème du terrorisme. A l'époque, Lamari avait perçu cette démarche comme non efficace pour rentabiliser la victoire remportée sur le terrorisme et prémunir, à l'avenir, la société contre l'intégrisme. Ici, l'argument avancé pour justifier le départ de Lamari mérite d'être nuancé compte tenu de l'option prise par Bouteflika de poursuivre la lutte jusqu'à l'éradication du terrorisme. Pour rendre inopérant ce justificatif, il semble important d'attendre les initiatives que compte prendre le chef de l'Etat pour augmenter le temps de parole de la société et des partis. Car s'il n'y a pas de doute sur le fait que le traitement du terrorisme nécessite une réponse militaire, les experts rappellent qu'un bon « plein » de démocratie et des réformes sociales constituent la parade idéale pour débarrasser les esprits de l'idée que l'extrémisme peut être une alternative. S'agissant des premières lectures à tirer du remplacement de Lamari par Gaïd Salah, il est déjà possible d'en déduire que Bouteflika n'a pas l'intention de mener la professionnalisation de l'armée dans le vacarme et de manière brutale. Pour des raisons liées à la sécurité nationale, le changement devrait s'effectuer dans la continuité.