Militante des droits des femmes et membre du Collectif Maghreb Egalité, Nadia Aït Zaï nous livre son analyse dans cet entretien sur le problème de l'accès des femmes aux postes de responsabilité et que représentent-elles dans les sphères décisionnelles. Les inégalités entre sexes pour l'accès aux postes décisionnels sont un fait avéré dans le monde et dans notre société. Qu'en pensez-vous ? Il est clair que, selon les statistiques officielles sur le taux d'occupation des femmes, évalué à 1,6 million, il y a 367 uniquement qui occupent des fonctions supérieures de l'Etat, ce qui représente 8%. Cela étant, on ne peut pas dire que c'est un chiffre reluisant. Normalement, cela devrait être plus. Malgré une volonté politique affichée depuis quelques années, il n'y a pas beaucoup de femmes aux postes décisionnels. On sent qu'il y a des résistances qui ne sont pas forcément liées aux mentalités puisque les femmes ont investi les espaces publics et ont acquis des expériences. A mon sens, ces résistances sont plutôt dues au machisme des hommes qui font très peu confiance aux femmes de part leur spécificité dans le travail. Je ne dirais pas que c'est un obstacle, mais le fait qu'elles soient mariées, aient des enfants, le fait des humeurs qui ne lui permettent pas, selon eux, d'avoir une réflexion claire pour une éventuelle prise de décision. Tous ces élèments concourent et font le machisme de ces hommes qui refusent, en fait, de faire accéder les femmes malgré leur niveau, leurs compétences, leurs diplômes, leurs capacités et leur expérience, à des postes de responsabilité au même titre que les collègues de sexe masculin. Si on parle des modalités des salaires, on dit que, dans le secteur public, il n'y a pas d'inégalité de salaires. C'est ce qui est vrai compte tenu des textes de loi. Les enquêtes qui ont été réalisées sur le sujet ont fait apparaître cette discrimination que je qualifie de pernicieuse. Cela apparaît dans les recrutements : pour un même diplôme pour l'homme et la femme, on a constaté que le poste accordé à la femme est beaucoup moins élevé que celui proposé pour l'homme. A ce moment-là, les salaires seront automatiquement différents. Mais il faut préciser que ces inégalités ne sont pas énormes dans le secteur public, mais elles le sont beaucoup plus dans le privé. La différence de salaire apparaît dans ce secteur chez le personnel de basse qualification. Est-ce que c'est l'unique raison ? Peut-être que ce n'est pas l'unique raison et qu'il y en a d'autres, mais on peut dire aussi est-ce que ce n'est pas une question de culture ? C'est peut-être, effectivement, ce manque de culture de mettre en place des rapports égalitaires dans le travail. Aujourd'hui, on parle d'inégalité entre sexes et ces inégalités sont dans l'inconscient de ceux qui nous dirigent. C'est aussi une des raisons qui empêchent les femmes d'accéder aux postes de responsabilité et surtout aux postes décisionnels. Même aux postes d'encadrement, les femmes représentent 6% des effectifs globaux de la Fonction publique, et c'est très peu, sachant que beaucoup de femmes travaillent dans la Fonction publique. Ces dernières années, elles ont déserté ce secteur pour d'autres plus avantageux. On a souvent remarqué une sous-représentation des femmes au sein des partis politiques. C'est peut-être aussi une raison qui les empêche d'accéder à des postes décisionnels ? Il ne faut pas qu'il y ait une défection des femmes au sein des partis politiques. Nous savons que peu de femmes activent au sein des formations politiques et quand elles y sont, elles sont rarement mises en avant sur les listes électorales notamment. Il est connu, par ailleurs, dans le monde que les partis politiques font appel à des gens extérieurs au parti, notamment aux femmes qui peuvent être mises sur des listes, même en tête de liste, selon leurs compétences et leur expérience. Il faut que cela devienne une culture chez nous pour les prochaines consultations électorales (élections législatives et locales, etc.). Que pensez-vous du système des quotas appliqué par certains pays du Maghreb ? Cette question est très importante puisqu'elle relève de la discrimination positive. Le quota est la première étape pour arriver à l'égalité entre les hommes et les femmes. Le quota est très important parce qu'il peut aider à intégrer la femme dans ce processus politique. Je dois dire qu'il ne va pas régler le problème de la participation politique des femmes. Mais le quota et la parité sont les étapes nécessaires pour arriver à cette égalité consacrée par la Constitution et qui demeure virtuelle dans la pratique. Il faut des mécanismes du genre pour arriver à cette égalité dans les rapports entre les hommes et les femmes. Je rappelle que le quota est une discrimination positive, donc une mesure temporaire instituée pour inciter les partis à prendre un quota de femmes au sein de leurs formations. Beaucoup de militantes des droits des femmes rejettent ce principe de quotas. Comment expliquez-vous cela ? Elles le rejettent par ce qu'elles considèrent que l'égalité est consacrée par la Constitution. Alors, il n'y a pas de raison d'utiliser des moyens qui viennent remettre en cause ce principe d'égalité. Hors, l'égalité se construit et c'est une culture. Elle se construit par des mécanismes. Beaucoup de pays en ont fait l'expérience. Il se trouve que les deux mécanismes qui sont le quota et la parité ont été expérimentés dans d'autres pays. Je pense qu'il est nécessaire pour nous aussi de passer par là. Cette discrimination positive - elle-même consacrée par la convention des Nations unies pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes - reste une mesure temporaire pour laquelle l'Etat s'engage à mettre en place pour inciter une plus forte participation des femmes. Ces mesures temporaires sont utilisées dans le domaine politique, du travail et de la santé. C'est ce qui constitue la base d'une politique gouvernementale. Comment les femmes peuvent-elles accéder à ces postes qui leur sont encore « interdits » ? D'abord, il y a un travail à faire dans la démarche politique. Il doit y avoir une constance de cette volonté politique de nommer des femmes aux postes décisionnels. Il faut que cela soit un réflexe naturel et non un réflexe calculé. C'est-à-dire un réflexe qui doit découler de cette construction des rapports égalitaires. Donc, il y a tout un travail à faire sur la levée des discriminations. Car même si nos lois sont égalitaires, la discrimination est pernicieuse dans les espaces publics que côtoie la femme. Le système du quota est l'un des moyens à exploiter.