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Des centaines de projets gelés
PÉNURIE DE CIMENT À L'EST
Publié dans El Watan le 07 - 06 - 2005

Cette situation perdure depuis la fin d'avril dernier. Dans la majorité des wilayas visitées (Annaba, Guelma, Souk Ahras, Khenchela, Oum El Bouaghi...), le ciment s'est transformé en or gris, car introuvable. « Il faut payer à prix fort le sac de 50 kg, faut-il encore le trouver. Cela fait plus d'un mois que mon chantier de 50 logements est à l'arrêt pour cause de pénurie de ciment. J'ai été contraint de mettre au chômage mes ouvriers », se lamente Mohamed Lakhdar T., un promoteur immobilier dans une des localités de la région de Guelma. Au siège du groupe des cimentiers de l'Est ERCE, on est d'un avis contraire.
Avec ses 5 filiales Hadjar Soud (SCHS) 900 000 t/an, Aïn Kebira 1 000 000 t, Hamma Bouziane 1 000 000 t, Aïn Touta 1 000 000 t et Tébessa 525 000 t, ce groupe représente l'un des plus importants potentiels de production de ciments du pays. A la question du pourquoi de la pénurie de ciment et de sa disponibilité sur le marché parallèle au prix de 400 DA au lieu des 260, M. Bendib, PDG du groupe ERCE, n'a pas pu fournir une quelconque explication. Il a cependant précisé : « Je ne peux expliquer ni cette pénurie ni cette spéculation. Je dois cependant affirmer que les 15 600 t/j produites par nos 5 unités sont largement suffisantes pour inonder le marché de l'est du pays. Je précise que, pour la première fois depuis l'indépendance, notre groupe a réalisé plus de 4 millions de tonnes de ciment, soit 96% de ses capacités réelles de production. » Son affirmation est reprise par Djamel Messikh, directeur de l'unité commerciale d'El Hadjar. Elle approvisionne en ciment une dizaine de régions de l'extrême est du pays. La longue chaîne formée par plusieurs centaines de personnes, transporteurs et camionneurs devant le portail de cette unité, la présence de ce qui semble être les barons de la mafia du ciment avec dans la malle de leur voiture, au vu et su de tout le monde, des dizaines de millions de dinars, l'apparente facilité d'accès à l'intérieur du dépôt et la familiarité que montre ces derniers vis-à-vis des préposés à la facturation pourraient expliquer cette pénurie. Questionnés, des travailleurs l'ont imputée au PDG de la filiale Société des ciments de Hadjar Soud. « Cette situation s'explique par le népotisme appliqué à la filiale de production de Hadjar Soud. Ce népotisme alimente le marché noir du ciment entre les mains d'une mafia composée d'amis ou de proches parents de certains cadres dirigeants de la SCHS. L'audit interne récemment effectué sur ordre du 1er responsable du groupe et la décision de ce dernier de mettre en congé d'office le PDG de la SCHS à un moment crucial de la production sont très significatifs », a affirmé un des syndicalistes de l'unité de Annaba. Notre interlocuteur a précisé qu'il existe dans la filiale une caste dirigeante qui impose sa loi sur la production et sur le marché du ciment à l'est du pays. En l'absence du PDG de la filiale en congé, c'est celui du groupe ERCE qui oppose un démenti à cette déclaration. Selon lui, le PDG de Hadjar Soud a été mis en congé dans le cadre d'une procédure de mise à jour tout ce qu'il y a de normal. Il a également souligné que l'audit interne dont il est question est une démarche qu'adopte toute entreprise qui se respecte. « A mon avis, toutes ces gesticulations, y compris celles des services du ministère du Commerce et des brigades économiques, sont le résultat d'une manipulation à grande échelle pour déstabiliser notre groupe de cimentiers. Ce qui se dit sur le PDG de la SCHS est faux. Nous connaissons l'auteur de ces allégations. C'est un ancien chef de dépôt licencié pour avoir été surpris en possession de 300 000 DA dont il n'a pu expliquer la provenance. Il fait actuellement l'objet de poursuites judiciaires en diffamation », explique M. Bendib. Sa déclaration est contredite par un syndicaliste qui s'est dit étonné que le chef de dépôt aussi gravement accusé de détournement n'ait pas fait l'objet de poursuites judiciaires en temps utile. « C'est parce qu'il y a eu trop de bruits autour de cette affaire. Il a été licencié sans être poursuivi en justice pour un acte aussi grave », argumente le syndicaliste. Ces positions contradictoires : la pénurie chronique du ciment, la paralysie du secteur du bâtiment et la disponibilité de ce même ciment au prix fort sur le marché parallèle ont fait réagir les services du ministère du commerce. Celui-ci est intervenu par le biais de sa direction de wilaya à Annaba. L'enquête diligentée en collaboration avec les éléments de la brigade économique de la sûreté de wilaya Annaba a permis aux inspecteurs de cette institution de relever de nombreuses anomalies dans la gestion du marché du ciment. « Nous avons tous les éléments nécessaires qui attestent que nous avons mis la main sur un réseau de spéculateurs sur le ciment. Nous les présenterons au moment voulu à qui de droit pour les suites utiles dans cette affaire qui est une véritable atteinte à l'économie nationale », a indiqué M. Hachichi, directeur du commerce à Annaba. Contactés, des cadres dirigeants, d'exécution et travailleurs ont exprimé leur sentiment que le calme dans les filiales du groupe ERCE n'est qu'apparent. Tout autant que les transporteurs conventionnés par l'unité d'El Hadjar, ils ont estimé que les ingrédients d'un scandale politico-financier sont réunis. Selon le rapport établi par la direction du commerce de Annaba, d'importantes quantités de ciment destinées au dépôt de Annaba auraient disparu dans la nature pour réapparaître par la suite au double de leur prix sortie usine sur le marché informel animé par la « nébuleuse aux portables ». « Dès qu'il franchit dans le strict respect de la procédure le portail de nos filiales de production ou de commercialisation, il n'est plus de notre compétence d'assurer le suivi des quantités de ciment prises en charge », a estimé le PDG du groupe. Le rapport établi par la structure décentralisée du ministère du Commerce est accablant pour les cimentiers. Se basant sur les premiers éléments de leurs investigations, les enquêteurs du ministère du Commerce ont conclu à un grave délit économique. Selon eux, il s'agit d'une opération de sabotage du programme présidentiel quinquennal portant sur la réalisation de 1 million de logements en Algérie. Questionné au siège de sa direction à Constantine, M. Bendib a tenté de mettre un bémol sur sa profonde mésentente avec son PDG de la filiale SCHS. Cette mésentente est devenue publique depuis que le premier a imposé à son proche collaborateur de la SCHS d'inonder le marché local et d'éviter tout problème pouvant entraîner une pénurie. « Le PDG de la filiale SCHS centralisait à son niveau la commercialisation du ciment. Nos dépôts étaient constamment vides et nos camions refoulés à l'entrée de Hadjar Soud. L'instruction donnée par le PDG du groupe à la SCHS de nous approvisionner régulièrement et en toute priorité a déplu au PDG de la SCHS qui a voulu maintenir sa mainmise sur la production et la commercialisation du ciment », a indiqué M. Boudrioua, secrétaire général de la section syndicale de l'unité El Hadjar Annaba. Les enquêteurs du ministère du Commerce et de la brigade économique ont perquisitionné il y a quelques jours dans les locaux de l'unité de Annaba. Ils ont longuement entendu son 1er responsable qui s'est dit très serein quant à un éventuel développement de ce dossier. En attendant, la mafia du ciment continue de sévir à l'est et au sud-est du pays alors que la réalisation de centaines de projets économiques, équipements publics et d'une importante partie du programme présidentiel de 1 million de logements est sérieusement hypothéquée.

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