La population de la ville de Ksar Chellala, à 126 km à l'est du chef-lieu de wilaya de Tiaret, a vécu une journée mouvementée. Les commerçants ont baissé rideau et les jeunes qui se sont rassemblés au centre-ville par centaines n'avaient pas cessé de manifester leur colère après qu'ils eurent vent de « la délocalisation d'un projet de raffinerie » que les pouvoirs publics auraient voulu implanter dans cette région gagnée par la misère. A notre arrivée sur les lieux, une foule immense nous a happés pour nous faire part de ses préoccupations avant de nous faire pénétrer dans un magasin qui avait l'air d'une fournaise. Les protestataires, tout en nous exhibant une plateforme de revendications appuyée par une pétition de plus de quatre mille signatures, ont commencé par débiter une litanie, énumérant point par point presque tous les problèmes que vivent les populations de cette commune de plus de 50 000 âmes. Problèmes qui s'articulent essentiellement autour du chômage, de l'insécurité et dont le projet d'une raffinerie en constitue le point nodal. Des enquêtes policières qui risquent de mener à des indiscrétions Les différents intervenants qui se disputaient la prise de parole tout en montrant une certaine nervosité ont fait preuve de pragmatisme en s'attaquant à l'essentiel. Le manque de perspectives dans une région où la prostitution tout autant que le chômage galopent. Déjà accrochés aux murs sur des banderoles, les slogans situaient à eux seuls tous les maux de Ksar Chellala, une contrée trop loin de Tiaret et, par conséquent, de ce développement dont certains, à l'exemple du maire, n'y voient pas au noir. Un maire au centre, d'ailleurs, d'une polémique, après avoir fait l'objet d'une enquête qui tire à sa fin. Une enquête menée par la police sur instruction du wali et qui, selon des indiscrétions, va dévoiler beaucoup de dépassements qui font jaser. Ayad Boumediène, le président d'APC FLN, qu'on a retrouvé quelque peu décontracté, semblait ne pas partager la sortie de ses concitoyens, car, pour lui, « cela sent la manipulation ». Sinon, pourquoi, surenchérit-il, « on y retrouve parmi les protestataires des gens issus de fractions bien connues à Chellala ». Le maire reste, en tout cas, persuadé que « ce mouvement obéit à des calculs pernicieux de cercles politiques qui voudraient avant terme mener campagne pour les futures élections ». En dehors des cercles d'agitation, les Chellalis semblent s'accorder sur une chose : « L'insécurité découle de conditions socioéconomiques précaires. » « La police, surenchérit un autre, ne pourra pas juguler la violence avec soixante agents et trois véhicules. » Un projet et une grande discorde Au siège de la daïra, bien que le président semblait embarrassé par notre présence, les explications sont tout autres. « Le projet d'implantation d'une raffinerie ne dépend pas de la volonté des autorités locales, quand bien même nous aurions souhaité voir se réaliser ce vœu pour soustraire la population au sous-développement », dira-t-il avant d'enchaîner : « Ce projet est techniquement irréalisable, car la région est dépourvue d'infrastructures de base pour être éligible. » Ce responsable, qui semblait trop accorder d'importance à la légalité, dira : « Cette manifestation est illégale, car elle contrevient à l'esprit de la loi 91/19. » Qu'à cela ne tienne. Les jeunes, persuadés de la justesse de leur combat, diront : « Nous avons fait preuve de maturité. Notre mouvement pacifique reste un avertissement avant que les choses ne s'embrouillent. » A notre sortie de Chellala, du renfort policier était déjà en place dans une ville désertique, toujours en proie à la platitude, la désolation et les incertitudes.